INFORMATIONS
SOCIALES n° 2/1987
savoir
communiquer
COMMUNICATION
SOCIALE
ET VIE
DE QUARTIER
Jean-Paul
Desgoutte
Réalisateur
Peut-on
créer un réseau de TV locale autonome dans un
grand ensemble de banlieue ? L'expérience de "La
Grande Borne", au sud de Paris, fait surgir les enjeux
d'un tel projet et les résistances qu'il suscite...
En 1984, s'est
créée à La Grande Borne l'association
Info-ciné Grande Borne (loi de 1901) dont l'objet
était d'élaborer un réseau de production
et de diffusion vidéo. Il s'agissait de préfigurer
un réseau local de télévision hertzienne
ou câblée, en incitant les habitants et les divers
partenaires de la vie sociale à se préparer
à cette nouvelle forme de communication afin qu'elle
devienne leur outil et non le support exclusif d'intérêts
commerciaux, politiques ou administratifs.
La
Grande-Borne est une vaste cité H.l.m., située
sur la commune de Grigny, à 25 km au sud de Paris. Sa
construction, au début des années 70, a marqué
l'émergence d'un urbanisme social novateur, mais un défaut
du bâti a précipité la dégradation
des lieux.
La
Grande-Borne souffre aujourd'hui d'une mauvaise réputation
et fait figure
de repoussoir dans les communes environnantes quoique la vie
collective - hormis les problèmes dus à la dégradation
de l'habitat et à l'extrême pauvreté de
ses habitants - y soit, de l'avis général, plus
agréable que dans la cité voisine de Grigny 2
- construite à la même époque, suivant un
programme de copropriété.

En
1984, la DDE de l'Essonne a chargé le Crepah (Centre
de Recherche pour l'Amélioration de l'Habitat), bureau
d'études lié à l'U.n.f.o.h.l.m, de réaliser
une étude sur La politique d'attribution
des logements à la Grande Borne.
Cette
recherche a donné lieu à une série d'entretiens
auprès des habitants et des partenaires de la vie sociale
: gardiens et assistants sociaux, enseignants et animateurs
culturels, fonctionnaires municipaux, commerçants, etc.
[...]
Les
travailleurs sociaux y manifestent en particulier leur préoccupation
devant la difficulté qu'ils éprouvent à
collaborer avec l'administration territoriale. [...] Le
renforcement du pouvoir politique et administratif local, consécutif
au processus de décentralisation, tendrait à conforter
les féodalités et leurs intérêts
électoralistes ou administratifs à court terme...
[voir à ce propos : ibidem]

Pour
un développement de la communication locale
A
l'issue de cette enquête et à l'initiative d'un
ensemble de partenaires locaux, un projet de vidéo-magazine
fut alors élaboré. Il s'agissait de mettre en
place un réseau de production et de diffusion vidéo
3/4 pouce afin de faciliter le développement de la communication
sociale. Deux convictions ont soutenu ce projet :
la première est que la communication, sous toutes ses
formes, favorise le développement de la vie sociale au
même titre que l'emploi, le logement, les transports ;
la seconde est que toute communication exige préalablement
que les partenaires s'identifient et se reconnaissent. On ne
peut entrer dans un processus d'échange réel que
si l'on donne d'abord la possibilité aux partenaires
de dire qui ils sont, et donc de construire une image cohérente
d'eux-mêmes.
Le
financement devait rassembler peu à peu une part importante
des partenaires privés et publics de la vie sociale locale.
Une subvention à l'équipement et au démarrage
devait prendre la forme d'une sponsorisation ou de crédits
publics, mais elle devait très vite faire place à
un processus commercial de prestations de services qui concernerait
aussi bien les entreprises privées que les organismes
publics.
Le
bénéfice retiré des prestations commerciales
et commandes publiques servirait à financer l'aspect
proprement créatif de ce réseau de production
et de diffusion.
La
première phase, expérimentale, du projet devait
se dérouler sur neuf mois et permettre l'installation
de trois microréseaux de diffusion, la création
d'un vidéo-magazine et d'un vidéo-club, et enfin
la prospection de partenaires privés.
Les
micro-réseaux devaient être créés
progressivement en utilisant le procédé de branchement
sur antenne collective révélé à
Aubervilliers. Le prix de revient en est faible et permet l'installation
d'un circuit de télévision restreint, à
usages multiples. Sur La Grande-Borne, une antenne collective
peut couvrir une centaine de récepteurs.
Ces
mini-structures de diffusion se proposaient d'être une
"provocation à la convivialité" et devaient
amener les locataires à s'approprier collectivement le
canal. C'est à ce niveau que devaient se constituer les
relais naturels du futur réseau de diffusion qui inviteraient
les habitants à réfléchir sur l'utilité
et l'usage du canal.
Le
vidéo-magazine devait présenter chaque mois, sur
une durée d'une demi-heure, un certain nombre de reportages
et diverses rubriques d'intérêt local (petites
annonces, publicités, feuilleton). Il serait diffusé
à l'intérieur de ces mini-réseaux, ainsi
que par l'intermédiaire du vidéo-club et dans
certains lieux publics (permanence d'action sociale, mini-laverie,
bar de la M.j.c., éventuellement centres commerciaux
ou première partie des programmes des salles de cinéma).
A
l'issue de cette période expérimentale devait
être créée une société qui
aurait la charge d'élargir le réseau de diffusion
à l'ensemble de la cité et de produire une heure
hebdomadaire de programmes locaux.
Pour
un renforcement du secteur associatif
Une
association (Info-ciné Grande Borne)
est alors créée
pour servir de support institutionnel à ce projet. Elle
rassemble une série de personnes qui s'y impliquent librement,
à titre individuel ou en tant que représentants
d'organismes. Participent ainsi à la création
de l'association des membres de la circonscription d'action
sociale, de la Cet, du C.e.s., des écoles primaires et
maternelles, de l'inspection académique, des centres
culturels, de la municipalité, etc., sans oublier un
certain nombre d'habitants.
Une
place de droit est réservée dans le conseil d'administration
au maire de la commune et au responsable de l'office H.I.m.
Ni l'une ni l'autre des deux autorités ne prendront cependant
acte de l'invitation qui leur est faite ni ne participeront
jamais aux travaux du conseil. Ce qui ne manquera pas, bien
sûr, d'avoir des conséquences sur l'évolution
du projet.
La
création de cette association, en décembre 1984,
marque une phase intéressante dans l'évolution
de la vie locale : pour la première fois, un certain
nombre d'individus, représentant la quasi-totalité
des acteurs de la vie sociale locale, se donnent spontanément
un lieu de rencontre et d'échanges extra-institutionnel.
Un calendrier et un plan de financement sont élaborés,
puis le projet est soumis à l'ensemble des organismes
dont la vocation avouée est de susciter et de soutenir
le développement de la vie des quartiers, ainsi qu'aux
élus locaux et à l'office H.l.m. interdépartemental.
Une
réunion rassemble alors les financeurs potentiels, organismes
ministériels pour la plupart, qui manifestent leur désir
de soutenir un projet qui répond à leur attente
de voir se constituer localement des groupements de base qui
puissent être les relais de leur intervention. Sont présents
des représentants de la Commission sociale des quartiers,
du Carrefour de la communication, de l'Inspection académique,
du ministère de la Culture, de la Ddass, de la Cet, de
la Mission régionale, de l'U.n.f.o.h.l.m., de l'association
Alfa.
Les
membres de cette réunion soumettent cependant leur engagement
au soutien explicite du bureau municipal qui doit se réunir
peu après pour débattre des projets de développement
local.
Communication
et démocratie locales
Malgré
les efforts des membres de l'association et d'une partie (P.s.)
des élus locaux, le bureau municipal tergiverse. Il reporte
sa décision et nomme une commission chargée d'ausculter
le projet. De fait, la commission ne se réunira jamais
: c'est l'enterrement et la débandade des partenaires,
déçus, une fois de plus, de n'avoir pu faire aboutir
leur désir de concertation.
La
volonté d'associer l'ensemble des partenaires locaux,
et singulièrement les élus, aboutit donc à
un échec. Par-delà des contingences locales, on
peut penser que l'instauration d'un réseau de communication
locale autonome est logiquement, perçu par le pouvoir
politique comme l'établissement d'un contre-pouvoir.
(On a vu se produire un phénomène similaire lors
du développement des radios locales.) La prise en compte
d'un tel phénomène exige de renoncer à
une démarche consensuelle, et par conséquent à
l'aide publique, pour élaborer des projets plus modestes,
immédiatement productifs, répondant à des
besoins concrets de l'un ou l'autre organisme.
C'est
ainsi que l'association créée à "La
Grande-Borne" a connu un second souffle en élaborant
et en expérimentant un stage formation audiovisuelle
à l'usage des collectivités locales, organismes
publics ou privés, école de travailleurs sociaux,
etc.
Ce
stage reprend l'idée d'une rencontre mutipartenaires
autour d'un projet commun de communication. Il favorise la mise
en place d'un atelier audiovisuel de production permanent, qui
permette aux divers acteurs d'une institution ou d'une collectivité
d'exprimer leur personnalité et de confronter leurs points
de vue. D'un coût léger, il peut être pris
en charge par une institution pilote et facilite l'élaboration
d'un diagnostic des problèmes de communication locale.
Sa
démarche délibérément concrète
(on produit tout de suite des documents modestes mais présentables)
facilite la popularisation de l'atelier en vue de l'élaboration
d'un programme de communication élargi.
Il
est difficile de conclure à partir d'une expérience
si courte, mais on peut penser que la force des résistances
comme celle des enthousiasmes est à la mesure de l'enjeu
: inventer une forme de communication locale, horizontale, qui
libère l'expression des groupes marginalisés,
qu'il s'agisse des habitants ou qu'il s'agisse des divers partenaires
de la vie locale.
J.-P.
Desgoutte, octobre 1986.
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