1. L'objectif
implicite de la linguistique est de rendre compte de la métamorphose
de la parole en écriture, étant entendu qu'il ne peut y avoir
une écriture de la parole mais qu'il en existe une infinité.
Paradoxalement la linguistique — fondée sur un refus de l'écriture
— a donné le jour à une multiplicité d'écritures tendant toutes
à donner une image plus juste — sinon parfaite — de la parole.
De fait, implicitement toujours, la linguistique ne cherche
pas à donner une image adéquate de la parole mais l'ensemble
des écritures possibles de la parole dans leurs relations de
dépendance.
2. La
parole est temporelle ou encore entièrement inscrite dans l'instant
; elle ne laisse pas de trace manifeste dans l'espace objectif
; elle est comparable à un objet lumineux en déplacement qui
changerait continuellement de forme. L’écriture est une tentative
d'objectivation ou de reconnaissance de la trajectoire de la
parole.
3. Le
découpage de la substance en unités institue l'objet. L'objet
est élément de substance ou trace sur la substance. L'objet
n'existe de fait qu'en tant que projection d’un autre objet.
La relation existant entre l'objet dérivé et l'objet originel
est une relation de lecture/écriture. Si on appelle référé
l'objet originel et référant l’objet dérivé, on peut
dire que le référé est un référant lu ou encore que le référant
est un référé écrit. Le référant est une trace ou une projection
du référé ; tout référant est le référé d'un autre référant,
tout référé est le référant d'un autre référé.
4. La
relation entre le référant et le référé n'est pas nécessairement
immédiatement signifiante. Le paradoxe de la langue est que
la représentation la plus immédiate de la parole, le spectre
acoustique, est la moins bien perçue, alors que l'image la plus
abstraite, l'écriture alphabétique, est la mieux perçue dans
leur relation respective de signification avec la parole.
5. De
même que l'on peut prendre diverses photographies ou faire divers
dessins d'un même objet, de même on peut avoir diverses écritures
d'une même parole. Photographier c'est opposer un écran sensible
au flux d'ondes lumineuses, c'est chercher à obtenir une trace
de ce flux; écrire, c'est réaliser un objet visible à partir
d'un objet sonore, c'est spatialiser un élément de substance
sonore.
6. Si
l'on appelle morphe chacun des avatars — chacun des devenirs
successifs ou simultanés — de l'objet originel, on peut dire
que tous les morphes d'un objet sont entre eux dans une relation
de lecture/écriture. Nous appellerons relation de signification
la relation qu'entretiennent deux morphes dérivant d'un même
référé.
7. Dans
cette perspective une parole n'a de signification qu'en tant
qu'elle est la source d’une ou de plusieurs écritures. Dès lors
il est vain de chercher dans la parole une signification en
soi, d'y chercher une relation de signification qui serait coupée
du processus global de lecture/écriture. Le problème de 1'arbitraire
du signe ne peut pas être le problème de la nécessité ou de
la non-nécessité de la relation entre le signifiant et le signifié,
le problème de l'arbitraire du signe est un problème d'éloignement
relatif entre un référant et un référé, mis en relation de signification.
Ou plus précisément encore de la connaissance que l'on peut
avoir des divers processus de projection qui séparent ce référant
de ce référé. Il n'y a pas d’arbitraire du signe, il n'y a pas
d’arbitraire entre la parole et l’écriture mais une chaîne continue
de projections ; l’écriture est une métamorphose de la
parole.
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