A propos de deux émissions de français réalisées
à Bamako
dans le cadre de la télévision scolaire du
Mali
Ces
émissions s’adressent à un public d’élèves maliens
de quinze à dix-huit ans préparant la première
partie du baccalauréat malien. Les programmes
de l'enseignement secondaire au Mali sont largement
calqués sur les programmes français. L’accent
y est mis sur l'enseignement de la littérature
plutôt que sur l'enseignement de la langue.
Au
centre d’une réflexion pédagogique sur cet enseignement
se trouve le problème de la relation entre la
littérature orale et la littérature écrite. Quelles
sont les caractéristiques communes aux littératures
orale et écrite ? Comment mettre au jour ces caractéristiques
et comment s'en servir pour introduire les élèves
maliens à l'étude des oeuvres écrites ? Comment
transcrire une oeuvre orale et quelle est la part
que peut jouer l'outil audiovisuel dans cette
recherche ?Les deux émissions présentées au IIIème
colloque S.G.A.V. s’insèrent dans cette problématique.
La première est un essai de transcription visuelle
dramatique d'une épopée traditionnelle de caractère
oral : Soundjata. La seconde est une analyse
par l’image de quelques poèmes « figuratifs »
de Guillaume Apollinaire.
1. Soundjata ou l’épopée mandingue
Sur
la base d'une traduction en français d’une des
versions orales de l’épopée, a été enregistrée
une bande sonore qui sert de cadre à l’émission.
La mise en image de cette bande sonore a été réalisée
à l'aide de marionnettes de papier. L'ensemble
du travail d'enregistrement sonore et d'animation
a été produit en collaboration avec un groupe
d’étudiants de l’Institut des Arts de Bamako.
Le
premier objectif que vise cette émission est donc
de présenter un exemple de transcription dramatique
d'une oeuvre orale traditionnelle, réalisée en
groupe à l'aide d'un matériel simple. Son second
objectif est de préparer à un débat sur les analogies
et les différences entre la littérature orale
et la littérature écrite aussi bien dans leurs
caractères formels que dans leur fonction sociale.
L'épopée est un genre que l'on rencontre aussi
bien dans la tradition africaine que dans la tradition
européenne. Si dans la tradition européenne ce
genre appartient à l'histoire de la littérature,
en revanche, il est encore bien vivant dans la
culture africaine. L'intérêt des élèves y est
donc fortement sensibilisé.
Dans la tradition européenne l’épopée se trouve
à la frontière entre la littérature orale et la
littérature écrite. En Afrique se pose aujourd'hui
le problème de la coexistence de l'oral et de
l’écrit et, d'une façon plus générale, à la suite
de l'introduction des techniques audiovisuelles,
des possibilités de transcription entre la parole,
l’écriture et l'image.
La
réduction qu'opère la transcription écrite ou
la visualisation dramatique de l'oeuvre en déplace
la fonction sociale. Existe-t-il un avenir à ce
genre littéraire ? D'une façon générale dans quelle
mesure la télévision offre-t-elle un support adapté
à la conservation ou à la perpétuation de la tradition
orale ?
2. Fonction poétique du
langage
Cette
émission s'inscrit dans le cadre d'une série d'émissions
sur la communication. Son titre est emprunté à une
analyse de Roman Jakobson. Elle a pour objectif
la mise en valeur de quelques caractéristiques constituantes
de l'écriture au sens le plus large. L'écriture
y est envisagée comme une activité symbolique qui
valorise l'objet de communication (le message) au
détriment de la situation de communication (acteurs
et contexte)[1].
L'autonomie qu'acquiert le message écrit correspond
à un développement de ses qualités proprement linguistiques
ou métalinguistiques. A la désignation se substitue
la périphrase, à l'objet de référence se substitue
le concept, aux relations de contiguïté qu'entretiennent
les éléments de la situation se substituent les
relations syntaxiques qu'entretiennent les unités
linguistiques du message. En développant une existence
autonome le message écrit tend à perdre sa fonction
d'outil. A une fonction externe, le transport d'informations,
la représentation d'une situation, se substitue
une fonction interne: la réalisation de ses propres
virtualités. Il perd sa fonction de communication
pour suivre sa propre nécessité, semblable en cela
aux sciences pures dont il a d’ailleurs créé la
possibilité d'émergence.
C'est
dans cette perspective que s'inscrit aussi bien
le développement de la grammaire (et de la linguistique)
qui est une auto-représentation du langage, une
écriture sur l'écriture, que de la poésie[2]. La
poésie est un jeu intralinguistique, où l'autonomie
du message écrit se renforce d'un désintérêt pour
le signifié et d'une valorisation des références
internes, des relations formelles et du signifiant
en tant que tel. La pratique poétique se caractérise
par une confusion entre la fin et le moyen. Le langage
y est à la fois medium et objet : il joue avec lui-même.
Le
prétexte de l'émission est la présentation de
quelques calligrammes de Guillaume ApolIinaire
(Miroir, Paysage, La Cravate et la Montre). Ces poèmes "figuratifs"
sont une illustration de ce qui vient d'être affirmé
au sujet du caractère spécifique que développe
l'écriture. Organisé spatialement comme un dessin,
le calligramme est une machine qui se nourrit
d’elle-même. Le calligramme ne désigne pas, il
s'offre à une infinité de lectures se renvoyant
les unes aux autres, la référence ultime étant
le signifiant graphique, la lettre, élevée au
rang d'une icône. Ses caractéristiques "monstrueuses"
facilitent — en en désamorçant la nécessité —
le projet pédagogique de l’émission. Le jeu de
la caméra n'est en effet que d’introduire le spectateur
à la lecture, en lui dévoilant les articulations
de l'objet.
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A)
Présentation globale : plan fixe
Le
calligramme a été limité à son contour:
il n'est plus qu'une silhouette, l’épure
d'un tableau figé dans l'espace. Il a le
caractère intemporel et la quasi transparence
du concept.
B)
L’épure est remplacée par le calligramme
proprement dit. La caméra entreprend une
lecture discrète du poème. Elle découvre
« au hasard » des bribes de mots,
des lettres. En tant qu'éléments du dessin
ces mots n'ont pas de signifiés autonomes,
ils constituent ensemble un signifiant,
une image qui se rapporte au concept précédemment
évoqué. En tant qu'objets linguistiques
ces mots, ces lettres, ont un autre rôle
que celui de briques de l’édifice :
ils ont une identité. Chaque lettre a une
forme et un nom, chaque mot renvoie à son
signifié propre.
Le
spectateur; contraint de percevoir des mots
éclatés, cherche à les rassembler, à les
articuler, à les organiser selon une direction,
à leur donner un sens. Il veut reconstituer
la linéarité du discours qu'il soupçonne,
rétablir les relations que le poète a remplacées
par une organisation figurative.
C)
La caméra, suivant la proposition implicite
inhérente au poème, entreprend plusieurs
lectures linéaires du calligramme en valorisant
certains mots, certaines syllabes, certaines
lettres, en reconstituant de diverses façons
les mots éclatés. La signification des
discours reconstitués renvoie toujours au
dessin global.
Le
parti pris adopté lors de la réalisation
est celui d'un refus de tout commentaire
sur le poème. Il s'agit de faire lire et
non de gloser. La caméra donne une interprétation
de l'oeuvre poétique de même qu’un instrumentiste
donne une interprétation d’une partition
musicale. Cette démarche est la condition
nécessaire du dévoilement des caractéristiques
structurelles de l'oeuvre.
Notes
[1] On peut, en élargissant l'acception du terme écriture caractériser
toute activité symbolique d'après le rôle
qui y est accordé à l'objet de communication
ou d'échange, le caractère « littéral »
de cet objet étant fonction de la qualité
qu'il possède de mémoriser, de représenter
ou de simuler une situation de communication.
[2] Cela. ne veut pas dire qu'il n'est
de poésie qu'écrite. La parole (le message
sonore) considérée comme l’objet d'une
activité symbolique de communication se
caractérise en effet par un haut degré
de « littéralité ». La littérature
orale valorise l'objet sonore pour lui-même,
lui confère un statut d’autonomie comparable
(dans les limites des contraintes liées
à l’oralité) à celui du message écrit.
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