UNIVERSITE DES LANGUES ET LETTRES DE
GRENOBLE
U.E.R.
DE LETTRES

BULLETIN
DE L'INSTITUT DE PHONETIQUE DE GRENOBLE
Volume
VI, pp. 149-171, 1977
PHONETIQUE
DESCRIPTIVE
Jean-Paul
DESGOUTTE
QUELQUES PROBLEMES DE DESCRIPTION
DE LA COMPOSANTE PHONOLOGIQUE DE LA GRAMMAIRE DU SONINKE
RESUME
L'auteur présente quelques problèmes théoriques
et méthodologiques concernant la description de la composante
phonologique de la grammaire d'une langue et les rapports qu'elle
entretient avec les autres composantes. La démarche générativiste
est ensuite appliquée à une description phonétique et phonologique
sommaire du soninké (Mali). Le système de description s'inspire
de celui de CHOMSKY & HALLE, mais il intègre aussi des modifications
apportées par Mc CAWLEY.
SUMMARY
This paper presents some theoric
and methodologic problems concerning the phonological component
of the grammar of a language and its relations with the other
components. Rules of generative grammar (CHOMSKY & HALLE's
system with some modifications introduced by Mc CAWLEY) are
then applied to a brief description of phonology and phonetics
of soninké, an African dialect (Mali).
1.
PROBLEMES
THEORIQUES ET METHODOLOGIQUES
1.1. Dans cette première partie nous étudierons
comment les développements de la théorie linguistique de la
grammaire générative situent la composante phonologique par
rapport aux autres composantes de la grammaire et quelle influence
ces développements théoriques doivent avoir sur la méthode de
description à employer à l'égard d'une langue ne possédant pas
de code écrit et n'ayant jamais été précédemment décrite. Nous
emprunterons tout d'abord à la théorie de la grammaire générative
un certain nombre de définitions nécessaires à notre exposé[1].
1.1.1. La grammaire
« La grammaire d'une langue
est un système de règles qui détermine un certain couplage entre
son et sens. Elle consiste en une composante syntaxique, une
composante sémantique et une composante phonologique. La composante
syntaxique définit une certaine classe (infinie) d'objets abstraits
(P, S) où P est une structure profonde et S une structure de
surface. La structure profonde contient toute information pertinente
à l'interprétation sémantique ; la structure de surface toute
information pertinente à l'interprétation phonétique. Les composantes
sémantique et phonologique sont purement interprétatives. »[2]
1.1.2. La composante phonologique
« La composante phonologique
est le système de règles qui s'applique à une structure de surface
en lui assignant une certaine représentation phonétique tirée
du classement (phonétique) universel fourni par la théorie linguistique
générale. »[3]
1.1.3. La structure de surface
« (La structure de surface)
est une parenthétisation stricte et étiquetée d'une concaténation
de formants. »[4]
1.1.4. Les formants
Dans la structure de surface[5],
les formants sont représentés sous forme de «matrices de traits»[6],
fournies par le lexique. Ces matrices décrivent l'ensemble
des "propriétés idiosyncrasiques" des items[7] :
propriétés sémantiques, syntaxiques ou phonétiques; les propriétés
phonétiques idiosyncrasiques - c'est-à-dire indépendantes du
contexte - des segments constituant le formant sont décrites
par la "matrice phonologique"[8].
Les segments constituants sont alors appelés "archi-segments"[9].
1.1.5. Les règles phonologiques
« Une des principales fonctions
des règles phonologiques est d'élargir les matrices phonologiques
en les transformant en matrices pleinement phonétiques, ou encore
de convertir les archi-segments en segments pleinement phonétiques.
»[10],[11]
L'ensemble des définitions précédentes attribuent
à la composante phonologique un rôle strictement interprétatif
et donc entièrement dépendant de la structure de surface de
la composante syntaxique. Cela signifie que la représentation
phonétique de la phrase est entièrement déterminée par :
- la représentation matricielle
des formants constituant la phrase[12],
- la fonction syntaxique de ces
formants, représentée par leur parenthétisation étiquetée[13].
La conclusion logique de cette affirmation est
que toute description d'une langue doit d'abord mettre à jour
la composante syntaxique : règles de réécriture et lexique.
Le corollaire de cette conclusion est que toutes les règles
phonologiques qui seront décrites dans la composante phonologique
sont déjà opérationnelles lors de la constitution du lexique
et plus généralement lors de la description de la composante
syntaxique.
1.2.2.
Illustrons cette affirmation :
Soit A un segment de la représentation phonétique
d'une phrase et B l'archisegment correspondant dans la structure
de surface de cette phrase. La composition en traits distinctifs
de B est fournie par le lexique; elle est donc supposée connue
avant même que soit formulée la règle de réécriture R telle
que :
R
B ->
A
La formulation de cette règle de
réécriture - qui appartient à la composante phonologique - devra
être telle que la valeur explicative de la règle R soit maximale,
c'est-à-dire, en simplifiant le problème, qu'elle permette un
nombre maximal d'opérations de réécriture d'archi-segments en
segments. Nous appellerons analyse phonologique cette démarche
de recherche de la formulation optimale des règles phonologiques[14].
La représentation phonétique matricielle
de A étant immuable[15] pour une phrase donnée, toute
variation. de forme de la règle R provoquera une variation de
forme de la matrice de l’archisegment B et réciproquement. Cela
signifie qu'aucune analyse phonologique ne peut être réalisée
sans que soit remise en question la composition du lexique,
donc la composante syntaxique. Cela nous permet de conclure
que l'analyse phonologique devra être intégrée dans la description
syntaxique[16] et que la composante phonologique ne consistera
qu'en une formulation ou une explicitation de règles déjà employées.
Un autre exemple emprunté au soninké nous montrera
que l'analyse phonologique détermine non seulement la constitution
interne des éléments du lexique mais encore ce que l'on pourrait
appeler leur constitution externe, c'est-à-dire le découpage
"morphologique" ou l'analyse en constituants, préalable
ou simultanée à l'analyse syntaxique d'une phrase.[17], [18]
a) je chante |
[ngu suugu nu] |
b) j'ai chanté |
[n cuugu] |
c) il chante |
[a wu suugu nu] |
d) il a chanté |
[a suugu] |
1.2.3.1.
Le segment initial du radical du verbe "chanter" en
soninké ne peut être introduit dans le lexique sans que soit
mise à jour la règle de variation à laquelle il obéit.
1.2.3.2. L'analyse morphologique de la phrase a)
- et partant son analyse syntaxique - ne peut être poursuivie
sans que soit résolu le problème de l'amalgame (morphophonologique)
que réalise la nasale vélaire [ng] (si ce n'est au prix d'une
complication extrême des règles).
En conclusion de ce premier exposé,
nous ferons une distinction entre le rôle de la composante phonologique,
strictement interprétatif dans le cadre de la description théorique
exhaustive d'une langue, et le rôle de l'analyse phonologique,
pratiquement nécessaire et présent à chaque étape de sa description
syntaxique, cela ne signifiant pas que la distinction
entre règles phonologiques et syntaxiques est arbitraire mais
simplement que la démarche descriptive concrète ne peut s'appliquer
exclusivement à l'un ou l'autre domaine et que toute description
d'un domaine nécessite une description au moins partielle de
l'autre, "chacune des composantes (pouvant) faire l'objet
d'une investigation dans la mesure où les conditions que lui
imposent les autres composantes sont connues"[19].
1.3. Nous pouvons maintenant exposer la démarche
employée lors de la description du soninké
1.3.1. L'élément de base
de notre analyse est un corpus phonétique constitué de mots.
Le "mot" n'est strictement qu'un outil de description.
Nous le définirons de façon empirique. Il doit satisfaire à
deux conditions :
- être compréhensible par l'informateur (bilingue)
— ce qui exclut certains "morphèmes",
- posséder un équivalent (même approximatif)
dans la langue de l'informateur[20].
Il est évident que le mot ne correspond
pas à la notion structurale de morphème; il est constitué d'un
ou de plusieurs morphèmes. Il est clair également qu'à un mot
monomorphématique d'une langue peut correspondre un mot polymorphématique
dans l'autre, et réciproquement. Il est certain, en outre,
que la catégorie grammaticale du "mot" correspond
pas nécessairement d'une langue à l'autre.
L'intérêt de cette démarche, cependant,
par rapport à une démarche apparemment plus facile à justifier[21], qui serait de constituer un corpus de phrases, est que le nombre
de règles phonologiques applicables au mot est bien inférieur
au nombre de règles applicables à la phrase[22].
On note à ce propos la distinction établie par CHOMSKY &
HALLE entre les règles non-cycliques, qui ne s'appliquent qu'aux
mots ( word) et les règles cycliques qui s'appliquent aux phrases
phonologiques[23].
1.3.2. Sur la base du corpus obtenu on peut faire
un inventaire partiel[24] des segments phonétiques, et une
étude de la distribution de ces segments, ce qui permettra la
formulation d'un certain nombre de règles de réécriture qui
pourront naturellement être remises en question ultérieurement[25].
Cette étude n'est rien d'autre que
la mise à jour des phonèmes et de leurs allophones. La méthode
d'analyse employée sera donc empruntée à la phonologie structurale
: opposition de paires minimales et étude des contextes. Elle
permettra la diminution du nombre des segments postulant à l'insertion
dans le lexique, la description des archisegments (provisoires),
et la formulation des règles ré-introduisant ces mêmes segments
dans la représentation phonétique à partir de la structure lexicale
sous-jacente. Elle permettra, en outre, la description de la
structure syllabique sous-jacente (provisoire), qui est la structure
d'arrangement des archi-segments.
L'élargissement du corpus à des phrases simples
permettra de réaliser une analyse syntaxique sommaire et de
parachever l'analyse phonologique précédente.
Les résultats obtenus devraient permettre, dès
lors, de poursuivre simultanément l'analyse syntaxique et l'analyse
phonologique approfondies et de mettre au point l'ensemble des
règles cycliques qui provoqueront elles-mêmes un remodelage
du lexique.
1.3.3.
Le travail que nous présentons se limite à l'exploitation des
résultats fournis par l'analyse structurale phonématique. Il
se décompose en quatre phases :
1) Description des segments phonétiques.
2) Exposé des résultats de l'analyse structurale.
3) Représentation hypothétique des archi-segments
constituant le lexique.
4) Présentation de quelques
règles de réécriture des archi-segments en segments.
2. DESCRIPTION PHONOLOGIQUE
SOMMAIRE DU SONINKE
2.1. Les segments phonétiques du soninké
Nous présentons dans le tableau suivant l'ensemble
des segments phonétiques que nous avons pu isoler au cours de
notre étude.
2.1.1. Le système de description utilisé est emprunté
à CHOMSKY & HALLE (SPE, Chap. 4, § 3). Nous y avons cependant
apporté une modification empruntée à Mc CAWLEY[26]
en introduisant les traits "sylIabique" et "bruissant"
et en supprimant le trait "vocalique", ce qui permet
une simplification de certaines règles.
Lors de la traduction nous avons
conservé le terme de c"coronal" nous a semblé
plus facile à manier que celui d'apico-dorsal. Nous avons traduit
"high" par haut et "low" par bas, n'ayant
pas découvert de raisons particulières à les traduire par "fermé"
et "ouvert".
2.1.2. Tableau de composition en traits distinctifs des segments phonétiques
du soninké
|
r
|
l
|
p
|
b
|
f
|
m
|
t
|
d
|
n
|
s
|
c
|
dj
|
ñ
|
k
|
g
|
ng
|
x
|
syllabique
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
consonantique
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
bruissant
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
haut
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
postérieur
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
+
|
bas
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
antérieur
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
coronal
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
voisé
|
+
|
+
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
+
|
+
|
-
|
-
|
+
|
+
|
-
|
+
|
+
|
-
|
continu
|
+
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
nasal
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
strident
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
latéral
|
-
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
i
|
u
|
e
|
o
|
a
|
in
|
un
|
en
|
on
|
an
|
j
|
w
|
syllabique
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
consonantique
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
haut
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
postérieur
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
bas
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
-
|
-
|
antérieur
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
coronal
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
arrondi
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
-
|
+
|
-
|
-
|
+
|
tendu
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
nasal
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
2.2. Analyse phonologique de
type structural
Nous
nous limitons à l'exposé des résultats dans la mesure où ils
sont la base de l'analyse ultérieure.
2.2.1. Phonématique des
voyelles
2.2.1.1. Tableau des phonèmes
vocaliques du soninké :
|
palatal
|
central
|
vélaire
|
fermé
|
i
|
|
u
|
moyen
|
e
|
|
o
|
ouvert
|
|
a
|
|
2.2.1.2. Réalisations phonétiques
et variantes combinatoires
a) Les voyelles longues
On note l’existence de voyelles longues en soninké
correspondant à chacune des voyelles brève décrites ci-dessus.
Il apparaît cependant que, si la longueur peut avoir une fonction
distinctive, elle semble d’autre part être souvent régie par
les règles d’accentuation et celles du système tonal, les deux
coexistant en soninké et possédant vraisemblablement des rôles
complémentaires. On préfère donc ne pas accorder le statut de
phonèmes aux voyelles longues et laisser le problème ouvert.
b) Les voyelles nasales
Devant une consonne nasale en syllabe fermée, les
voyelles du soninké se nasalisent plus ou moins fortement ;
on note même un cas d’amuïssement simultané de la consonne nasale.
2.2.2. Phonématique des consonnes
2.2.2.1. Tableau des phonèmes consonantiques
du soninké
|
labiales
|
alvéolaires
|
palatales
|
vélaires
|
occlusives sourdes
|
|
t
|
|
k
|
occlusives sonores
|
b
|
d
|
|
g
|
nasales
|
m
|
n
|
|
|
constrictives
|
f
|
s
|
|
x
|
liquides
|
|
l
r
|
|
|
semi-voyelles
|
w
|
|
j
|
|
N.B. : Les semi-voyelles (ou glides)
ont été classées traditionnellement avec les consonnes.
2.2.2.2. Réalisations phonétiques et variantes combinatoires
a) Les constrictives
Précédées d'une consonne nasale les constrictives
du soninké se réalisent comme occlusives ou semi-occlusives
N + / f /, / s /, / x / -> N
+ [ p ], [ c ], [ k ]
b) Les liquides
On rencontre en soninké deux réalisations phonétiques
de liquides :
une vibrante alvéolaire
[ r ]
une latérale alvéolaire [ 1 ]
Mais alors que le [1] peut se distribuer en toute
position consonantique dans le morphème, le [ r ] ne se rencontre
qu'à l'intervocalique. L'existence de paires minimales opposant
en cette position le / r / au / l / nous oblige à les considérer
tous deux comme phonèmes tout en notant la large neutralisation
que subit le /r/. Précédé de / n /, le / l / assimile la nasale :
/ n / + / l / -> [ ll ]
c) Les semi-voyelles
Précédées de la nasale /n/, les semi-voyelles réalisent
avec elle un amalgame :
/ n / + / j / -> [ ñ ]
/ n / + / w / -> [ ng ]
Précédées des occlusives /t/ et /d/, la semi-voyelle
/j/ réalise avec elles un amalgame :
/ t / + / j / -> [ c ]
/ d / + / j / -> [dj ]
A la finale après voyelle [ w ]
et [ j ] sont des variantes de / u / et / i /.
d) La gémination
Tous les phonèmes consonantiques
du soninké peuvent se géminer. Les constrictives géminées ont
des réalisations phonétiques particulières :
/ f / + / f / -> [ pp ] ou [ fw ]
/ s / + / s / -> [ tc ]
/ x / + / x / -> [ kk ] ou [ kw ] ou [ xk ]
de même que la vibrante alvéolaire :
/ r / + / r / -> [ ll ]
La première fonction des géminées est morphologique;
en effet la gémination de la consonne radicale du verbe est
une des marques de l'aspect inaccompli de ce verbe.
Il semble en outre que la gémination
des consonnes soit dans certains cas directement dépendante
des règles d'accentuation (de même que la longueur des voyelles).
On note par exemple qu'une voyelle géminée (i.e. longue) n'est
jamais suivie d'une consonne géminée.
2.3. Représentation hypothétique des archi-segments constituant
le lexique
Nous avons présenté les résultats
partiels d'une analyse phonologique structurale du soninké.
Nous n'avons pas approfondi la discussion quant à la valeur
à accorder à la gémination des voyelles et des consonnes ni
quant au statut exact des réalisations de phonèmes amalgamés.
Nous pensons en effet que ces deux problèmes nécessitent la
mise à jour de règles qui ne sont pas du domaine de l'analyse
structurale.
Nous allons à présent donner une
description hypothétique des archi-segments entrant en composition
dans le lexioue. Pour ce faire nous supprimerons, tout d'abord,
tous les segments qui ne sont que des réalisations phonétiques
de variantes combinatoires ou d'amalgames et nous supprimerons
ensuite tous les traits "distinctifs" redondants des
segments restants. Cela nous permettra de proposer une structure
syllabique sous-jacente du soninké, puis de rendre compte sous
forme simple des règles précédemment décrites.
Tableau de composition en traits distinctifs des archi-segments
lexicaux du soninké.
|
r
|
l
|
m
|
n
|
t
|
d
|
b
|
k
|
g
|
x
|
f
|
s
|
consonantique
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
continu
|
|
|
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
+
|
+
|
coronal
|
|
|
-
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
+
|
haut
|
|
|
|
|
|
|
-
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
voisé
|
|
|
|
|
-
|
+
|
|
-
|
+
|
|
|
|
nasal
|
|
|
+
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
latéral
|
-
|
+
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
i
|
e
|
a
|
o
|
u
|
w
|
j
|
consonantique
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
-
|
syllabique
|
+
|
+
|
+
|
+
|
+
|
-
|
-
|
haut
|
+
|
-
|
|
-
|
+
|
|
|
antérieur
|
+
|
+
|
|
-
|
-
|
-
|
+
|
bas
|
|
|
+
|
|
|
|
|
Certains traits de cette matrice
sont encore redondants : leur présence rendue nécessaire par
certaines règles de réécriture nous posait l'alternative suivante
: les intégrer dans le tableau ou poser des règles d'insertion
tout au long de la démarche. Le critère de simplicité méthodologique
nous a poussé à les insérer immédiatement.
2.4. Règles de réécriture
Nous donnerons d'abord une description succincte
de la structure syllabique sous-jacente correspondant à la précédente
description des archi-segments.
2.4.1.
Nous avons isolé trois types de syllabe :
(a) - / ( + syllabique) / -
(b) - / ( - syllabique), (+ syllabique) / -
(c) - / ( + coronal ), (- syllabique), (+ syllabique)
/ -
Nous supposons que les géminées n'apparaissent
pas dans le lexique (voir 2.2.1.2 -a et 2.2.2.2 -d).
2.4.2.
Nous sommes maintenant en mesure de présenter une description
ordonnée (quoique partielle) des règles mentionnées dans la
description structurale.
2.4.2.1. Nasale préconsonantique
(Cette règle, qui n'est pas mentionnée dans la
description structurale, permet la réécriture de la nasale alvéo-dentale
en nasale bilabiale devant consonne bilabiale :
(1) (+ coronal ) -> ( - coronal ) / - - ,
( - coronal ) ( - haut )
La nasale est la seule consonne pouvant se trouver
devant une autre consonne dans le lexique : un seul trait suffit
donc pour la définir.
2.4.2.2. Neutralisation de la vibrante alvéolaire à l'initiale
(voir
2.2.2.2. -b)
(2) ( - latérale) -> ( + latérale ) / # - -
2.4.2.3. Assimilation
régressive de la nasale par la liquide
(
exemple : / n / + / l / -> [ ll ] ; voir 2.2.2.2.
-b )
(3) ( + nasal ) -> ( - nasal ) ( + latéral ) / -
-, ( + latérale )
2.4.2.4. Voyelle devant nasale, en syllabe fermée (voir 2.2.1.2
-b) :
(4) ( + syllabique) -> ( + syllabique )( + nasal )
/ - -, ( + coron.), ( - syll.)
Cette règle doit être placée avant
la règle introduisant les géminées si l'on veut éviter qu'une
voyelle ne se nasalise devant une géminée coronale. En outre
la règle (2) doit être placée avant la règle (3) afin que l'assimilation
puisse s'appliquer dans tous les cas. La règle (3) doit être
placée avant la règle (4) afin d'éviter que la voyelle ne se
nasalise avant l'assimilation de la nasale.
2.4.2.5. Voyelle finale après voyelle (voir 2.2.2.2. -c) :
Cette règle présuppose une règle d'effacement de
certaines glides à l'intervocalique, règle que nous n'avons
ou formuler en raison de sa dépendance manifeste envers l'accentuation
de la phrase.
(5) ( + syllabique ) -> ( - syllabique ) ( - consonantique
) / (+ syllab. ), - -
2.2.4.6. Constrictives géminées et post-nasales
Nous supposons à ce niveau une règle
d'insertion des géminées. Dans les règles qui suivent nous
traiterons simultanément des constrictives géminées et post-nasales.
Rappelons les règles précédemment données (voir
2.2.2.2. a et d).
(aa) / nf / -> [ mp ]
(ba) / ns / -> [ nc ]
(ca) / nx / -> [ nk ]
(da) / ff / -> [ pp ]
(ea) / ss / -> [ tc ]
(fa) / xx / -> [ kk ]
(db) / ff / -> [ fw ]
(fb) / xx / -> [ xw ]
(fc) / xx / ->[ xk ]
On remarque
·
que
l'attestation de formes telles que [ xk ], [ xw ], [ fw ] semble
indiquer, pour la gémination, une transformation en deux temps.
·
que
dans les règles de type -a le second segment de la suite subit
le même traitement après nasale et après constrictive.
·
que
dans ces mêmes règles la consonne alvéolaire est transformée
en affriquée alors que les consonnes labiale et vélaire sont
transformées en occlusives.
Ces remarques nous poussent à décomposer les règles
d'interprétation en deux temps :
1) Traitement du second segment de la suite.
2) Traitement du premier segment (assimilation).
Le premier temps sera lui-même décomposé en trois
parties :
1a. Transformation des constrictives en affriquées.
(6) (+ continu) -> ( - continu )( + strident ) /
( + consonantique), - -
L'absence de suites consonantiques
autres que nasale + consonne et consonnes géminées
permet de limiter la description du contexte au trait "consonantique".
Après application de cette règle nous obtenons une forme
attestée et cinq formes non-attestées.
/ nf / ->°[ mpf ]
/ ns / ->[ nc ]
/ nx / ->°[ nkx ]
/ ff / ->°[ fpf ]
/ ss / ->°[ sc ]
/ xx / ->°[ xkx ]
(Nous introduisons les symboles [ pf ] et [ kx
] pour représenter les affriquées correspondant à [f] et [x]).
1b. Transformation des affriquées en occlusives.
(7) (+ strident) -> ( - strident) / (- - -) ( - coronal)
La limitation au contexte interne (- coronal) permet
d'éviter qu'elle ne s'applique à l'alvéolaire.
Après application de cette règle nous obtenons
les formes suivantes :
[ mpf ] -> [ mp ]
[ nkx ] -> [ nk ]
[ fpf ] -> [ fp ]
[ xkx ] -> [ xk ]
Le
problème des constrictives post-nasales est dès lors résolu ;
on note, ce qui ne peut que justifier la démarche, que cette
règle nous a permis la production de [ xk ], forme attestée
en soninké.
lc. Transformation des occlusives en glides.
Cette règle doit nous permettre d'obtenir les formes facultatives
[ xw ] et [ fw ]. Elle sera facultative.
(8) (+ consonantique ) -> ( - consonantique ) / ( + continu
)( - strident) , - -
Il
ne reste plus dans le second temps qu'à formuler une règle d'assimilation
du premier segment au second, tout en prenant garde que cette
règle (obligatoire) ne remette pas en question les résultats
obtenus par la précédente règle (facultative) si elle est appliquée.
(9) ( + continu ) -> ( - continu ) / - -, ( + consonantique)
L'ensemble
de ces règles précédentes nous a permis de résoudre de façon
simple un processus complexe, tout en restant apparemment très
proches du déroulement réel du processus.
2.4.2.7. Vibrante alvéolaire géminée ( voir 2.2.2.2.
-d : / r / + / r / -> [ ll ] )
(10) ( - latéral ) -> ( + latéral ) / - - , ( -
latéral ) ( + latéral ) , - -
Le double contexte permet à la règle de s'appliquer
d'abord sur le premier segment, qui est suivi d'une vibrante,
puis, sur le second segment, qui est alors précédé d'une latérale.
2.4.2.8.
Occlusives alvéo-dentales + glides
a) / n /, / t /, / d / + / j / -> [ ñ ] , [ c ] , [
dj ]
La règle suivante présuppose l'introduction de
règles d'effacement des voyelles dans un certain contexte accentuel.
(11) ( + coronal )( - continu ) ->
( + coronal ) ( + haut ) ( - continu ) / - -,( - syllabique
) ( + antérieur )
(12) ( - syllabique ) ( + antérieur ) -> Ø / ( +
coronal ) ( - continu ) , - -
b) / n / + / w /
(13) ( + nasal ) ( + coronal ) ->
(+ nasal ) ( - coronal )( + haut ) / - - , ( - syllabique
) ( - antérieur )
(14) ( - syllabique) ( - antérieur ) -> Ø / ( + nasal
) ( + coronal ) , - -
2.4.3. Notre
démarche a été de faire subir un certain nombre de transformations
à la constitution des matrices des archi-segments et de faire
apparaître de nouvelles matrices, le tout en fonction des contextes
déterminés. Il ne resterait plus à présent, pour obtenir les
segments phonétiques correspondants, qu'à appliquer au nouvel
ensemble de matrices défini, les règles de redondance implicites
dans la description des archi-segments.
BIBLIOGRAPHIE
CHOMSKY (N.), La nature formelle du langage, (Seuil,
Paris, 1969).
CHOMSKY
(N.) & HALLE (M.), The Sound Pattern of English (Harper
& Row, New-York, 1968).
DONEUX
(J.), Questions sur l'alternance consonantique (C.N.R.S.
Paris, 1967).
HALLE
(M.), Place de la phonologie dans la grammaire générative,
in Langages n° 8, La phonologie générative ( Didier -
Larousse, Paris, 1967, pp. 13-36. ).
HYMAN (L.M.), How concrete is phonology ? in
Language 46, 1970.
JAKOBSON (R.), Phonologie et phonétique ( Ed. de Minuit,
Paris, 1963 ).
Mc
CAWLEY (J.D.), Le rôle d'un système de traits phonologiques
dans une théorie du langage, in Langages n° 8 (Paris, 1967,
pp. 112-123.).
SCHANE
(S.A.), French Phonology and Morphology (M.I.T. Press.
Cambridge, Mass., 1968).
[16] Une bonne partie de l'exposé
de CHOMSKY & HALLE dans The Sound Pattern of English
porte pratiquement sur un réarrangement du lexique ou même
de la structure de surface de la composante syntaxique. Voir
à ce propos : SPE : Chap. 2, § 8, Chap. 3, § 14, Chap. 4,
§ 2.I, Chap. 8, § 6.5.
[17] [ ng ] = nasale vélaire; [ c] = affriquée palatale
sourde.
[18] Le découpage partiel présenté
a été effectué à l'aide d'un corpus plus large.
[19] CHOMSKY, La nature formelle
du langage (voir plus haut).
[20] La définition
du mot (word ) introduite par CHOMSKY & HALLE
(SPE, Chap. 8, § 6.2) dépend entièrement d'une analyse syntaxique
préalable; les"objets" auxquels elle s'applique
ne devraient pourtant pas différer grandement de ceux auxquels
s'applique notre définition. Cela reste à vérifier. il faudrait
particulièrement démontrer que la qualité de word est
indépendante de la fonction du segment de phrase. Cela démontré,
il apparaîtrait sans doute que les mots d'une langue, par
rapport à une autre langue donnée, forment un sous-ensemble
des words de cette langue.
[21] Le concept
linguistique de phrase est moins diversement évalué
que celui de morphème et, moins encore, que celui
de mot..
[22] On échappe
par exemple aux problèmes d'accent, d'élision, etc. Cette
constatation n'est pas purement empirique pour peu qu'on rapproche
le mot du "word" (voir note1).
[23] SPE, chap. 3 et chap.
4.
[24] Il n'est pas exclu que
de nouveaux segments phonétiques apparaissent lors de l'analyse
de la phrase.
[25] On note que ce niveau
d'analyse correspond approximativement au niveau phonématique
chez MARTINET, Eléments de linguistique générale, chap.
3, § 2.
[26] Voir Mc CAWLEY, Le rôle d'un système
de traits phonologiques dans une théorie du langage, in
Langages, n°5, Décembre 1967.
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