Préface
La délimitation précise des domaines
rangés actuellement sous la dénomination de Sciences humaines fait
encore problème. Aussi pourrait-on mettre en cause le titre même
d’un ouvrage général ayant pour objectif de codifier le vocabulaire
utilisé dans ces secteurs de la connaissance.
Une telle objection repose sur la
conception normative que l’on se fait de l’extension théorique de
ces sciences. L’usage courant adopte spontanément le pluriel pour
les qualifier, mais il ne semble pas que les « sciences
humaines » désignent une réalité comparable, sur le plan même
de la définition, à celles que recouvrent par exemple des
expressions comme « les sciences physiques » ou « les
sciences biologiques ». Dans ces deux derniers cas, pour ne
parler que de ceux-là, l’unité du domaine va de soi : en dépit
de leurs différences spécifiques, les problèmes et les méthodes de
la physique et de la biologie s’enracinent dans une réalité commune,
parce que l’observateur est nécessairement distinct des phénomènes
qu’il étudie. Les analyses épistémologiques très diverses du concept
d’objectivité manifestent sous ce rapport une remarquable
convergence.
Depuis plus d’un siècle — on songe
particulièrement aux travaux de Comte, de Spencer, de Durkheim et de
Herbart —- l’étude philosopique des questions portant sur l’homme
même n’a cessé de réclamer des méthodes objectives. Le positivisme
logique de son côté, a fortement souligné les difficultés résultant
de l’ambiguïté des concepts utilisés en ces matières. Actuellement
encore le vocabulaire de la psychologie, de la sociologie, de
l’anthropologie et de leurs domaines annexes est loin d’avoir
atteint l’univocité désirable.
Il serait téméraire de prétendre
fournir une définition des termes couramment utilisés :
le défini ne doit pas, du seul fait qu’il propose quelques repères
sémantiques, être confondu avec le définitif — si tant est qu’une
telle notion ait sa place dans quelque tentative scientifique que ce
soit. Toute définition d’inspiration purement normative se heurte
forcément au fait historique concret et vouloir l’imposer aurait
pour seul résultat de réduire un dictionnaire, en principe
impersonnel et objectif, à une série d’interprétations
d’école.
Mais il y a plus. A l’intérieur de
chaque secteur des sciences humaines, on relève des catégories de
concepts très éloignées les unes des autres et dont la coexistence
résulte, une fois de plus, de l’évolution historique du domaine
considéré. Ainsi, par exemple, les psychologues utilisent, par la
force des choses, des notions de physique, de psychologie et de
médecine qui voisinent avec les notions tirées de la philosophie, de
la linguistique et de l’anthropologie. Les difficultés rencontrées
depuis Fechner dans l’instauration d’une esthétique expérimentale et
les malentendus qui en ont résulté en témoignent à suffisance.
Dans un même ordre d’idées, on serait
bien en peine de délimiter dans certains cas, les domaines
respectifs de la sociologie et de la psychologie sociale. Il serait
simpliste de déclarer que la première aborde les faits sociaux tels
qu’ils se présentent dans la vie sociale tandis que la seconde
institue des expériences de laboratoire dans des conditions sociales
contrôlées. Le caractère social des comportements ne saurait être
considéré comme une donnée scientifique que s’il se dégage comme un
invariant de ces deux types de situations.
De tels exemples pourraient être
multipliés. Plus près de nous, il ne fait aucun doute que les
développements de l’éthologie indiquent des recoupements féconds
avec l’anthropologie et même avec la psychanalyse. Enfin, la nature
probabiliste de toute science de l’homme oblige des chercheurs
d’appartenances très diverses à recourir à la statistique pour
obtenir une expression quantitative des faits recueillis.
Ces réflexions nous ont amenés à
concevoir ce dictionnaire ni comme un traité multiple en raccourci,
ni comme une simple liste de termes définis en quelques mots. Ces
deux formules auraient fait de cet ouvrage une encyclopédie trop
brève ou un catalogue dénué d’unité. Il s’agissait donc de trouver
une formule équilibrée permettant de présenter au lecteur un
vocabulaire à la fois représentatif dans son extension et
suffisamment analytique pour chaque terme. Dans cette perspective,
les divers secteurs retenus traduisent les relations réciproques
existant entre les disciplines qui constituent actuellement les
sciences humaines. Les termes figurant dans les différents secteurs
ont été sélectionnés d’après les avis des spécialistes auxquels il
avait été demandé d’établir une liste des termes devant figurer dans
chacun de ceux-ci. On pouvait espérer, en procédant de la sorte, que
la liste intégrale des concepts aurait une réelle utilité de
documentation en permettant au lecteur spécialisé de consulter le
dictionnaire comme une somme organisée. Le choix même des mots ainsi
que les corrélats figurant au bas de chaque définition indiquent en
effet les notions annexes à partir du point de vue fondamental
choisi.
Une large part fut faite aux concepts
qui relèvent de la philosophie des sciences ou épistémologie. Dans
la mesure où leur évolution est au centre du développement théorique
des sciences humaines, certains de ces concepts furent traités d’une
manière substantielle au risque d’introduire une hétérogénéité par
rapport aux définitions succinctes dont la plupart des concepts
techniques ont fait l’objet.
La conception de l’ouvrage a donc été
essentiellement pragmatique. Elle traduit, à notre sens, les liens
qui existent entre des sciences, à première vue très éloignées les
unes des autres, comme, par exemple, la psychologie, la
pharmacologie, la métrologie et l’esthétique, etc. Certaines
disciplines très spécialisées, comme la photométrie ct la
colorimétrie ont été retenues en raison de leur importance pour
l’expérimentation. Dans ce cas, seuls ont été sélectionnés les
termes indispensables au travail du chercheur. De même, les secteurs
généraux qui, comme la philosophie, ont une incidence sur la
majorité des autres n’ont été traités que sous l’angle propre des
sciences humaines.
Cette façon de procéder aura sans
doute pour conséquence d’induire le lecteur à regretter
l’absence de certains termes. Cependant, outre qu’aucune liste de
mots ne peut se prétendre exhaustive, le procédé inverse aurait mené
à la rédaction d’un ouvrage peu sélectif et fait de la simple
juxtaposition d’une quantité considérable de termes d’utilisation
peu fréquente et, pour une part importante, hors de propos.
Les auteurs espèrent que le verdict
des lecteurs ira au-delà de l’hétérogénéité apparente et que ceux-ci
percevront l’effort de synthèse qui a été accompli pour souligner
des implications conceptuelles souvent peu apparentes au premier
examen. Ils sont également convaincus que la place très grande à la
discussion et à la confrontation interprétative assurera à cet
ouvrage une signification autre que celle d’un simple lexique. A
travers les définitions, ce dictionnaire, fruit de collaborations
étendues, tente de faire le point et de mettre en évidence les
héritages divers mais aussi les acquisitions originales des sciences
qui, de la biologie à la réflexion philosophique, ont pour objet le
vivant.
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