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Dijon, le 24.02.1914
Bien Chers Parents,
C'est aujourd'hui Mardi-Gras.
Je profite du quartier libre pour vous écrire. Je viens d'aller,
sur l'ordre du nouveau chef porter ma trompette chez le luthier. Il
ne m'a pas puni pour cette fois, puis c'est un bon chef. Je m'applique
toujours et je fais des progrès, croyez que je ne suis pas encore
un musicien parfait.
Nous sommes proposés pour aller à Montceau-les-mines pour
la grève. Alors, on est sur le qui-vive depuis hier soir. On
devait partir cette nuit, puis il y a eu contre-ordre. Tant que les
grévistes n'auront pas empiré le mal, nous attendrons
avant de partir. Peut-être partirons-nous cette nuit ?
Enfin, une grève, ce n'est rien pour un soldat, il ne craint
rien. Alors, c'est tout ce que j'ai à vous raconter pour le moment.
Dans 2 ou 3 jours, je vous dirai ce qu'il est arrivé. Si vous
pouviez m'envoyer de suite mon argent au cas où à Montceau
je me trouverais dans le besoin. J'en ai encore mais il vaut toujours
mieux en avoir un peu plus. Envoyez ce que vous pouvez.
Votre fils qui vous aime.
Honoré
Dijon, le 16.03.1914
Bien Chers Parents,
J'accuse réception
du mandat de 15 francs. Il est arrivé à temps. N'oubliez
pas de mettre la compagnie sur le mandat avec le régiment car
ce dernier seul ne suffit pas. Il a fait beau hier à Dijon. J'ai
été d'abord le matin à la messe de 9 heures, ensuite
j'ai mangé en ville et j'ai été à Gaumont.
Je me suis promené au parc ensuite jusqu'à 7 heures et
j'ai été manger un morceau. J'étais avec un de
mes camarades musiciens qui m'aident à apprendre la musique,
les veillées après la soupe. Car la semaine, je ne sors
que très rarement. Je suis toujours après mon piston.
Il me tarde d'être fixé sur la date du départ. en
permission car je sens qu'il faut que je me refasse et il me tarde de
vous revoir.
A propos, la maman ne me fait jamais savoir de ses nouvelles. Comment
va-t-elle ? Je serais content aussi de savoir que c'est elle qui m'écrit,
je comprends qu'elle est toujours occupée car je songe toujours
à elle. Tu entends, maman, écris-moi un peu et signe sous
ton passage écrit par tes propres mains.
Je pense qu'elle ne se fait pas trop de bile. La vie, c'est tellement
bizarre ! Enfin, je te remercie cher papa d'avoir comme toujours pensé
à moi : j'attends toujours des nouvelles de Pierre. Disputez-le
un peu, secouez lui sa paresse, moi je lui écris pourtant encore
assez souvent.
Je commence à apprendre mes partitions ; c'est déjà
plus difficile. Mais avec le temps, pour le moment, je vais m'occuper
de savoir le plus tôt possible le jour de mon départ car
j'aurai le bonheur de vous embrasser et vous témoigner ma reconnaissance.
De gros mimis aux petites surs et je suis content de savoir qu'elles
sont les premières de leur classe et qu'elles sont sages. Je
les embrasse bien fort ainsi que vous, bien chers parents. Votre fils
qui vous aime.
Que la maman mette la main à la plume la prochaine fois.
Honoré
Dijon, le 24.03.1914
Bien Chers Parents,
Je vous écris à la hâte pour vous dire qu'en ayant
mis l'adresse du Tonton Benoît j'ai confondu la rue Royale avec
la rue Romarin, le numéro est juste. Donc j'ai été
surpris et me suis rappelé de mon erreur qu'après l'expédition
de la lettre. Par conséquent, veuillez en informer le Tonton
Benoît car je ne voudrais pas que si par un hasard quelconque
la lettre s'égarait, il croie à une ingratitude de ma
part.
Rien de nouveau à Dijon, sauf que les permissions ne s'approchent
pas vite. Il est probable qu'elles seront retardées et que je
partirai du 5 au 8 pour, je pense, quinze jours. Enfin, je vais bien,
je suis vanné ce soir, c'est le moment des marches d'épreuve.
Mais l'appétit est toujours bon. Je pense que vous êtes
en bonne santé. Nous avons eu la pluie ce soir pendant trois
heures sur le dos. J'ai changé tout mon linge de corps. Je vais
trouver mon plumard de suite.
Dimanche, je suis allé à Darcy-Palace, car j'avais minuit.
L'après-midi je suis resté dans la chambrée. Vivement
les permissions qu'on reprenne un peu de sang de civil. Je compte toujours
sur la lettre que la maman doit écrire, et qu'elle me dise de
ses nouvelles. Samedi, elle pourra mettre un mot sur la lettre qui doit
arriver les fins de mois. Elles soulagent beaucoup. Alors, si vous vouliez
faire parvenir le nécessaire pour samedi matin je vous en serais
reconnaissant.
De gros mimis aux petites surs.
Votre fils qui vous aime et qui tarde de vous voir pour vous embrasser.
Honoré
Dijon, le 27.03.1914
Bien Chers Parents,
J'accuse réception du mandat de 15 francs. Je réponds
vivement et ennuyé à la question que Papa m'a posée
ce matin sur la lettre. Quand auras-tu la lyre ? Eh bien je réponds
jamais car comme par hasard malgré mon application, les compliments
du nouveau Chef, cela ne suffit pas.
La série des déveines continue. Ce matin, comme je rentrais
à mon travail d'art, j'apprends que 10 élèves musiciens
viennent d'être rayés par le Colonel, non pas sous le rapport
d'incapacité et d'irrégularité et d'inconduite
mais tout simplement il a trouvé qu'il y en avait trop.
Alors, il a choisi parmi ceux de la classe 1912 et les derniers arrivés.
J'étais de ceux-là et à 11 heures au rapport j'apprends
que je rentrais au service de la compagnie.
Vous ne pouvez comprendre combien ça me fait marronner de voir
que malgré tout l'ardent désir d'arriver je suis maintenant
résigné à recommencer comme avant. J'en ai rien
mangé à midi ; le chef qui est pourtant un bon garçon
rapport au colonel est obligé de me rayer. Il est monté
me voir l'autre jour travailler. Il constate que j'avais fait des progrès
et il devait me faire rentrer au conservatoire car je lui en avais reparlé.
Tout allait pour le mieux. Et maintenant, ça y est, je me suis
relevé.
Vous direz que c'est de ma faute peut-être, mais si vous vouliez
les preuves, ce serait facile. J'ai plus envie de me creuser la tête
pour aboutir à rien du tout. Je pense que ça ira mieux
demain. J'avais trop à cur de faire plaisir et de me récrier
tous les jours avec mon piston. Vous allez vous dire : il ne sait rien
faire. Et pourtant que doivent dire mes camarades qui, musiciens, sont
rayés ?
Je ne vous en dis pas plus long. Je pense que vous avez vu ce que c'est
que le régiment. Du moins, papa doit comprendre que le désordre
est cause souvent de cela. Et encore, c'est en revenant des marches
d'épreuve qui heureusement se sont très bien passées.
Je pense, bien chers parents, que j'irai vous voir samedi prochain pour
15 jours, c'est-à-dire le 4.
En attendant, je vais me coucher et oublier les mauvais passages de
la journée dans mes songes. Ne vous faîtes pas de mauvais
sang sur moi je me porte bien. Je vous embrasse tous bien fort. Votre
fils qui vous aime affectueusement.
Honoré
Paris, le 10 avril 1914
Cher monsieur et ami,
De cette bonne Capitale où je suis en ce moment pour quelques
jours, préoccupé des démarches à faire en
vue de mon passage dans un Régiment de ladite Capitale, je vous
adresse en communication la lettre que je reçois de mon collègue
Martenot de Dijon au sujet d'Honoré.
Vous voyez qu'il n'y a pas moyen de faire autrement. Honoré n'a
qu'à attendre patiemment le départ de la classe. À
ce moment là, il demandera à nouveau à se faire
affecter à la Musique.
J'ai reçu hier enfin une longue lettre de Pierre. Je vais lui
répondre.
Il a toujours l'air plein d'enthousiasme pour son art et très
peu pour le métier militaire (ceci entre nous, ne lui en faites
pas d'allusion).
Il m'annonce qu'il va venir à Lyon pour quinze jours, le 15 courant.
Vous pourrez donc le raisonner un peu. Mais je crois que ce sera dur.
Son idée est bien arrêtée.
Je vous laisse bien cher monsieur pour aller entendre un merveilleux
concert spirituel aujourd'hui Vendredi Saint à l'Eglise de la
Sorbonne. À quand le plaisir de vous voir revenir définitivement
à Paris ?
Je vous le souhaite toujours de grand cur.
Bonnes amitiés à madame Desgoutte et aux fillettes.
Bonnes amitiés aussi à Honoré qui est peut-être
auprès de vous en ce moment et pour vous la plus affectueuse
poignée de main de votre ami dévoué.
Albert Montmain
262, rue des Pyrénées chez Monsieur Foret jusqu'à
lundi soir.
Bien Chers Parents,
J'accuse réception du mandat de 15 francs. Je n'ai encore aucune
nouvelle sur mon nouveau filon. Serai-je infirmier ? Car je ne suis
pas le seul mandataire.
Je vous renseignerai et vous le dirai dès que je serai sûr.
Je suis en bonne santé. La musique pour le moment, je ne m'en
inquiète guère car on barde beaucoup en ce moment. Dans
un mois, on part au camp, alors il ne faut pas songer à mon piston.
À mon retour, je verrai ce que je devrai faire si j'en ai toujours
le goût et si je peux y entrer. Je ne veux plus me faire de bile
pour quoi que ce soit car c'est de la bêtise. Entreprendre une
chose et la laisser en cours de route, ce n'est pas la peine.
Maman me ferait plaisir de m'écrire un mot car je pense toujours
à elle. Je ne vois pas autre chose à vous dire sinon de
vous remercier d'avoir fait parvenir le nécessaire à temps.
Je suis heureux de vous savoir tous en bonne santé. Pierre m'a
envoyé une carte et a la satisfaction d'avoir passé quelques
jours auprès de vous et à Balaruc-les-bains.
Gros baisers à vous. Votre fils qui vous aime affectueusement.
Honoré
Dijon, le 10.05.1914
Bien Chers Parents,
Je n'ai rien de nouveau à vous raconter sinon que je ne passe
pas infirmier. Ne vous étonnez de rien car un autre l'est à
ma place. Car sur les demandes qui ont été faites une
seule a été accordée. Je n'ai pas eu la chance
naturellement car, paraît-il, il avait l'habitude de panser les
hommes et moi, comme les autres, n'étions pas du métier.
Enfin, tout ça, je ne fais aucun calcul pour chercher à
comprendre. Ce que l'on peut dire sur mon compte ne peut que faire agir
mon bon sens, peut-être les " qu'en-dira-t-on ? " d'un
autre parti ne me sont-ils pas favorables, cela me laisse froid. Je
remplis ma tâche consciencieusement envers la patrie et reste
digne de mes chers parents.
J'irai vous voir Dimanche, je pense, avant de partir au camp, car je
serais heureux de vous embrasser avant mon départ. Je suis toujours
en bonne santé. Pourriez-vous me faire parvenir le nécessaire
pour mercredi que je puisse prendre mon billet jeudi matin au bureau,
envoyez ce que vous pouvez. À Dimanche.
Gros baisers à vous. Votre fils qui vous aime affectueusement.
Honoré
Camp de Mailly, le 4 juin
1914
Bien cher papa,
A l'occasion de ta fête je m'empresse de renouveler les meilleurs
vux que mon cur puisse t'offrir en ce Saint jour.
Je suis fier d'avoir un père qui a su me montrer le bon exemple,
qui m'a enseigné mes devoirs de chrétien et a su m'apprendre
à me diriger dans la vie et prendre le droit chemin que je m'efforce
de suivre.
Je dois donc finir ma carrière militaire en m'efforçant
de faire plaisir à mon cher Papa qui a toujours été
si bon pour moi. Je le comprends, oui, je le reconnais car d'un cur
de soldat français sort la franchise, la fierté pour son
pays gaulois et par conséquent l'amour du métier et celui
de la famille. Je demande conseil à Saint-Claude de façon
qu'il t'inspire bonne chance dans toutes tes entreprises, qu'il te surmonte
dans tous les revers de la vie, et qu'il veille sur ton cher Fils.
Je te demande pardon, bien cher Papa, de t'écrire au crayon,
mais dans un camp, on est privé de beaucoup de choses, souvent
indispensables. J'ai voulu te prouver en un mot que j'étais digne
d'avoir un père aussi bon et aussi dévoué que toi.
Ton fils qui t'aime affectueusement.
Honoré
De gros baisers aux petites surs de ma part et un gros mimi à
la maman dont je souhaite la santé toujours, je pense de même.
Dijon, le 01.07.1914
Bien Chers Parents,
J'accuse réception du mandat de 15 francs. Je vous remercie et
je m'empresse de vous dire que le Chef de la Musique m'a fait appeler
et m'a conseillé d'aller le soir 8 fois par semaine, après
la soupe pour m'y remettre un peu. Je viens de jouer à l'instant,
il est temps que je m'y mette. Enfin, avec du courage et de la patience
et surtout de l'attention j'arriverai je pense, et aurai peut-être
plus de succès qu'avant.
Je suis en bonne santé, il fait très chaud. Dimanche,
j'ai profité de prendre le frais le soir, car il faisait trop
chaud pour sortir l'après-midi. J'ai entendu la musique et je
me suis couché. Heureusement que vous êtes en bonne santé
car avec ce temps là il tombe beaucoup de monde.
Pensez-vous aller à Grenoble ? Quand ? Vivement le 20 juillet
que je puisse me changer et me mettre en civil. Je pense avoir une permission
d'au moins dix jours. Le Chef de Musique a voulu me donner le piston.
Alors je continuerai le même.
C'est l'heure de l'appel. Je vais me coucher en pensant à vous.
Je vous embrasse bien fort.
De gros baisers aux petites surs. J'ai écrit au grand-papa
pour sa fête. Je lui en ai mis trois pages.
Votre fils qui vous aime.
Honoré
Dijon, le 05.07.1914
Bien Chers Parents,
Ayant achevé la sieste, je vous écris deux mots. Nous
avons assisté hier, le 1er bataillon à l'enterrement d'un
fabricant de bière, Messner. Heureusement la chaleur était
supportable. Tout le personnel de la maison défilait derrière
le corps. Il y avait beaucoup de monde. Il a fallu que nous marchions
au pas de dixième lenteur, l'arme sur l'épaule.
La musique donnait la cadence du pas. Les marches de Chopin, etc. étaient
jouées. C'était très intéressant. Vous parlez
si c'est rasoir. Enfin, heureusement, notre retour n'a pas été
tardif.
Ce matin, j'ai été faire un tour à Dijon, au marché,
voir des curiosités. Je me suis rempli le ventre de cerises,
vu le prix, il ne fallait pas s'en passer.
Ensuite, j'ai été chez ma blanchisseuse chercher mon linge.
Hier soir, j'ai été au cinéma à Darcy-Palace.
J'avais minuit, j'en ai profité. Je me distrais de mon mieux.
Alors, aujourd'hui je me repose. Je vais aller voir le piston à
3 heures jusqu'à la soupe.
En allant régulièrement aux cours du soir, je pense arriver
certainement à faire quelque chose de bon. Je vais doucement
et ne m'énerve pas. Il n'arrive que ce qui doit arriver. Plus
tard, certainement, j'aurai de l'avantage.
Je pense que la chaleur ne vous a pas non plus abattus. Maintenant,
un mot au sujet de ma permission. Je ne pourrai, d'après le dernier
des changements incessants, de la date partir qu'au mois d'août.
Je ne vous promets donc plus rien.
Je vais bien, j'ai bon appétit, enfin, heureusement. Mon contentement
et le plaisir de vous embrasser plus tard sera plus expressif et je
vous trouverai peut-être dans un autre endroit. Sera-ce à
Grenoble ? Les petites surs auront grandi et moi j'aurai atteint
ma vingtième année. Croyez que dès mon départ
en permission vous serez avertis. Heureusement que le cafard ne ravage
pas trop le casernement.
Alors, au revoir, chers parents, à bientôt votre réponse
et un mot de la maman aussi, svp. Votre fils qui vous aime. De gros
baisers aux petites surs.
Affectueusement.
Honoré

En 1914, peu
avant la déclaration de guerre, Claudius acquiert à Grenoble,
rue Saint-Jacques, une agence immobilière et un journal d'annonces
judiciaires : " l'Officiel du Sud-Est, affiches de Grenoble ".
L' "
Officiel du Sud-Est ", Grenoble 1914.
Abbeville, le 12.07.1914
Chers Parents,
J'ai bien reçu votre lettre et la carte que m'a envoyée
Juliette de Grenoble.
Il ne me reste qu'à vous souhaiter bonne réussite. Je
suis très content de voir papa sorti de l'atmosphère de
Lyon et il me tarde de vous voir tous à Grenoble. Vous me feriez
plaisir en me donnant quelques mots d'explication concernant cette nouvelle
affaire qui, j'y compte bien, est ou deviendra excellente.
Comment êtes-vous installés ? Vous plaisez-vous à
Grenoble. Maman n'aura j'espère pas été trop fatiguée
par ce enième déménagement ? Enfin, donnez moi
des nouvelles !
Je partirai pour dix jours en permission le 31 juillet ou le 1er août.
Si par hasard la date était changée, je vous le ferais
savoir.
Ici tout va bien. Nous
préparons la " Revue " du 14 juillet qui aura lieu
sur le terrain de manuvres d'Abbeville le 14 au matin. Inutile
de vous dire que tout Abbeville sera en liesse ce jour-là, que
nous aurons un ordinaire soigné et quartier libre.
Du nouveau !! Je peux presque dire que je sais nager. La compagnie a
été conduite à l'établissement de natation
d'Abbeville vendredi dernier, j'y suis retourné de ma propre
autorité ce matin et je suis en passe de devenir bon nageur.
Encore une ou deux séances et ça y sera ! Que maman se
tranquillise : l'endroit le plus profond du petit bassin (bassin des
apprentis) n'a que 1m 50 de profondeur : ma tête dépasse
donc !
Pour le reste, c'est toujours la même chose ! Rien de changé
au train habituel !
À bientôt
donc de vos nouvelles ! Écrivez-moi vite !
En attendant la joie de vous voir tous, je vous embrasse de tout cur.
Votre bien dévoué.
Pierre
Je remercie bien Juliette de sa carte. Je lui envoie ainsi qu'à
Marguerite mille caresses.
N'oubliez pas ma quinzaine, svp ! Honoré part-il en permission
? Quand ?
Dijon, le 15.07.1914
Bien Chers Parents,
J'accuse réception du mandat de 10 francs. Je vous remercie d'avoir
été si empressés de me l'envoyer. Je comprends
bien qu'au début d'une situation les frais sont nombreux et par
conséquent l'argent difficile à gagner. Je ferai mon possible
pour vous être agréable, par la suite, vous saurez comment,
et économiser davantage.
Je sais fort bien que vous êtes gênés pour le moment.
A propos de mon départ en permission, le capitaine m'a fait rappeler
et m'a dit qu'il aurait lieu dans le courant juillet d'un jour à
l'autre. Donc, ne m'attendez pas. Ce sera une surprise. Ce qui me permettra
de voir mon frère dont j'espère toujours qu'il est en
bonne santé, en admettant même que je parte après
le 20.
Comme je lui ai demandé 15 jours je pourrai par conséquent
terminer le cercle de famille pendant quelques jours. Je me ferai un
plaisir de vous donner la main si le besoin est pour quoi que ce soit.
Croyez chers parents à la sincère affection de votre fils
chéri.
Gros mimis aux petites surs
Honoré
Ne faites pas attention à l'écriture car je suis pressé.
Je descends aux patates.
Dijon, le 24.07.1914
Bien Chers Parents,
J'accuse réception du bon de poste de 5 francs. Je suis fixé
sur la date de mon départ. J'arriverai à Grenoble le jeudi
30 juillet à 6h 37 du matin, pour 10 jours. J'espérais
en avoir 15 enfin si je peux avoir une prolongation, je m'arrangerai.
Heureusement je pourrai passer quelques jours avec mon frère.
Je regrette de ne pouvoir davantage être auprès de vous
bien chers parents, mais je vous serai utile autant qu'agréable.
Je vous remercie et à bientôt.
J'emmènerai probablement mon piston pour étudier chez
nous avec la permission du Sous-Chef.
Maintenant je pense avoir assez pour le voyage. Si vous voulez m'envoyer
trois francs de suite au cas où je me trouverais pris. C'est
de l'argent demandé avec bon motif. Vous le comprenez, bien chers
parents, surtout l'occasion d'aller à Grenoble vous voir se présentera
plus rarement maintenant.
En attendant le plaisir de vous revoir et de vous donner satisfaction,
je vous embrasse bien fort.
À bientôt donc. Votre fils qui vous aime affectueusement.
Gros mimis aux petites surs.
Honoré
Dijon, le 28.07.1914
Bien Chers Parents,
Je vous annonce que je ne pourrai pas aller en permission à la
date fixée car vous savez comme moi la raison pour laquelle je
dois rester. La France doit conserver et savoir faire respecter son
propre nom. Je dois vous dire tout de suite car je crois qu'il est préférable
que vous sachiez la situation présente. Un bon Français
ne doit rien cacher. L'Autriche est en conflit avec la Serbie.
Le reste vous le saurez par la suite car on ne peut encore rien prévoir
pour nous de grave. Seulement, ce n'est qu'un avertissement que je veux
vous faire savoir car il n'y a encore rien de sûr du moins pour
nous pour le moment.
Si mon devoir de Français m'appelle, j'accomplirai ma tâche
en bon citoyen. À part ça, il pleut, je mange bien, je
vais bien. Tranquillisez-vous, ce ne sera rien. J'irai vous voir avec
plus de plaisir dans quelques jours. Ce n'est qu'en suspens.
Gros baisers à tous et aux petites surs. Ne vous faites
pas de bile pour moi. On se pose toujours un peu là.
Vous avez de mes nouvelles souvent.
A bientôt, je l'espère.
Votre fils qui vous aime
Honoré
Du 598 demain matin, ça se tire !
Dijon, le 30.07.1914
Bien Chers Parents,
Je réponds au dernier courrier envoyé du 27 dont j'accuse
réception du mandat de 3 francs que j'avais oublié de
vous dire sur l'autre lettre précédente. Les dépêches
sont toujours pareilles. Nous mobiliserons probablement demain, ce n'est
pas sûr mais il faut que je vous le dise. C'est la destinée.
Il ne faut pas vous faire trop de mauvais sang. Je pense que Maman et
les petites surs comprendront qu'Honoré est courageux et
prêt à sauver son honneur, sa famille et sa patrie. Quant
à lui, il pense à vous bien chers parents qui sont fiers
d'avoir deux fils prêts à se sacrifier pour leur drapeau.
Mais ce n'est pas encore fait. Il est préférable que vous
soyez avertis de ce qui se passe au 27ème à Lyon. Vous
serez moins dans l'anxiété qu'autrement. Je vous écrirai
souvent, et si l'occasion vient que les casques à pointe se présentent
devant nos yeux, nous saurons les écraser et les fouler sous
nos pieds.
Je suis en bonne santé et prêt à aller me coucher
après avoir fait un petit tour.
Vous aurez de mes nouvelles encore après-demain : je viens de
prendre un verre de vin et de trinquer à votre santé et
à celle de la famille et des copains. Alors, maman, de gros mimis
de ton Honoré ainsi qu'à vous Marguerite et Juliette.
Papa, je t'enverrai encore un mot après demain. Je t'embrasse
très fort.
Votre filston chéri
Honoré
Le 48ème d'artillerie
mobilisera probablement cette nuit.
Grenoble, le 31 juillet
1914
Mon cher Pierre,
Tu nous dis que de source certaine tu sais que la guerre n'est pas encore
pour cette fois. Je voudrais bien que ce soit vrai, c'est notre désir
le plus cher, mais je crains bien qu'il en soit autrement et que ton
frère et toi soyez appelés à la frontière.
Nous avons reçu une lettre d'Honoré ce matin qui nous
dit que son régiment mobilise aujourd'hui, tout cela n'est pas
rassurant. Enfin, à la grâce de Dieu ; il faut que la destinée
s'accomplisse et ce sacrifice quoique très douloureux, nous serons
obligés de l'accepter.
Nous ferons la seule chose qui nous sera possible, celle de prier pour
vous afin que vous nous reveniez sains et saufs.
Voilà que j'ai trouvé la lettre de Papa hier, bien pessimiste
et je m'aperçois que la mienne l'est presque davantage puisqu'il
n'y a encore rien de grave, souhaitons de tout notre cur que tout
s'arrange pour le mieux et que tu nous viennes au mois de septembre
en parfaite santé et au moins pour quinze jours.
J'étais si heureuse de vous avoir tous deux à la fois
pour 10 jours. Nous nous étions promis de vous faire faire des
belles excursions aux alentours de Grenoble qui j'en suis persuadée
est une ville qui te plaira beaucoup ; c'est une ville aristocratique
; il y a beaucoup de touristes de toutes nations, elle a son cachet
particulier.
Ce serait malheureux si les choses tournaient au tragique à cause
également de notre nouvelle situation ; car je suis de plus en
plus persuadée que ce genre d'affaires conviendrait parfaitement
à papa et qu'il la mènerait à un heureux résultat.
Nous n'avons pas encore eu la chance de faire une vente de fonds, ce
qui est très naturel vu l'effervescence qui occasionne ces bruits
de guerre, tout le monde, même les acheteurs de fonds pensent
à autre chose.
Papa est allé la semaine dernière faire une visite à
tous les notaires et avoués de la ville pour qu'ils nous donnent
de préférence à d'autres leurs insertions d'actes
judiciaires ou de créations de sociétés, etc. Ces
messieurs ont très bien reçu papa qui est revenu enchanté
de ses visites. Nous n'avons donc rien négligé pour arriver
au but et voilà que survient une appréhension bien plus
triste que celle de ne pas réussir. Nous reléguons la
réussite au second plan et tous nos vux vont vers vous
pour que tout s'arrange au plus tôt.
Le seul employé que nous avons, à qui nous donnons 250
francs par mois se marie demain, il a demandé à papa d'être
témoin à son mariage, il n'a pas pu refuser ; c'est un
bon garçon qui a besoin de se marier pour avoir un peu de plomb
dans la tête ; il n'apporte à sa mariée que des
dettes qu'il paiera quand il aura le temps, sa fiancée gagne
27 sous par jour dans une fabrique de gants, c'est le travail de beaucoup
de femmes à Grenoble.
Le bureau de papa est très bien placé, sa situation à
Grenoble est celle de la place de la République à Lyon,
c'est l'endroit le plus vivant de Grenoble, le bureau est très
bien meublé, d'un bureau plat à deux places en chêne
sculpté, deux bibliothèques assorties, deux fauteuils
en bois également sculptés et deux chaises, une haute
pendule et une cheminée surmontée d'une glace de tout
en chêne sculpté dans le même style ; jolie cantonnière
à la fenêtre avec store et rideaux mystère, directement
en entrant on tombe dans le bureau des employés où se
trouve d'abord une barrière qui sépare le client de l'employé
puis une table bureau avec deux fauteuils bureau, jolie presse dans
un coin, et une table surmontée d'une machine toute neuve Underwood,
le bureau des employés a deux fenêtres.
Ce mobilier a été compris dans le prix d'achat du fonds
ce qui le diminue. Derrière ces deux pièces s'en trouvent
deux autres qui étaient inoccupées mais qui faisaient
quand même partie de la location qui est de mille francs ; ce
sont celles que nous occupons, elles suffisent en attendant ; nous avons
le gaz et l'électricité. Nous avions promis à la
Grand-Maman que nous irions à Lyon pour le 15 août, c'est
bien problématique, vu les événements.
Il y a aussi une raison à ce que nous n'allions pas à
Lyon ; les environs de Grenoble viennent d'être inondés
et les trains font un grand détour soit à l'aller soit
au retour. Si vous étiez venus en vacances vous étiez
obligés de passer par Chambéry. La voie est endommagée
et la réfection demande près d'un mois. Nous n'avons pas
été voir l'Exposition nous vous attendions pour y aller,
nous la verrons au mois de septembre.
Papa vient d'aller aux nouvelles. Elles sont affichées plusieurs
fois par jour aux différents journaux. Juliette est en train
d'écrire à la machine, je commence également à
savoir. Jeudi prochain le journal l'Officiel du Sud-est paraîtra
au nom de papa car il fallait finir le mois commencé au nom de
notre prédécesseur, nous te l'enverrons dès que
nous l'aurons reçu car il s'imprime toutes les semaines à
St-Etienne où il y a ainsi qu'à Lyon l'Officiel du Sud-Est.
Ces trois journaux avant faisaient partie de la même société,
mais depuis six mois celui de Grenoble avait été vendu
à notre prédécesseur un jeune homme de 24 ans qui
était tout à fait trop jeune pour ce genre d'affaire ;
il ne s'occupait pas du tout de son travail, se levait à 11 heures
tous les jours et se fiait à ses employés ; il a tout
de même fait 6000 francs en six mois qu'il y est resté,
ce qui me fait dire que si les choses s'arrangent nous devons arriver
à un résultat.
Si ce jeune homme s'était occupé lui-même de son
travail au lieu d'avoir deux ou trois employés, il aurait réussi.
Il avait aussi paraît-il une amie qui n'avait jamais assez d'argent.
Elle habitait St-Etienne, ce qui fait qu'il était toujours en
route. Enfin il est arrivé ce qui devait arriver, il est parti
endetté et ce qu'il avait payé 20.000 l'a laissé
pour 13. Il devait donc encore de l'argent dessus le fonds car il ne
pouvait pas donner beaucoup.
Je me demande si tu peux comprendre quelque chose à ce que je
te raconte. J'aurai tellement à te dire lorsque tu viendras !
Papa arrive, rien de nouveau. Par contre, il est content d'avoir déniché
des cartes représentant notre maison. Je suis heureuse de t'envoyer
une de ces cartes, tu verras mieux comme cela. J'espère mon cher
petit que tu ne te frappes pas trop. Tout peut encore s'arranger et
ira peut-être mieux que l'on croit.
Écris-nous souvent pour nous tenir au courant. Si les affaires
s'arrangent, papa a envie de s'occuper aussi d'assurances pour grossir
le bénéfice. Aujourd'hui nous avons eu un acheteur pour
une maison. Il a été la visiter. Si nous la vendons nous
avons 300 francs. Je le voudrais bien pour encourager papa.
Tu ferais bien de faire quelques provisions si l'on vous dirigeait vers
la frontière par exemple : de l'alcool de menthe, de l'éther,
du chocolat pour le cas où tu devrais attendre longtemps sans
manger ; tu ferais bien de t'acheter une ceinture de flanelle pour t'entourer
le ventre soit contre les coliques, soit contre l'humidité du
terrain si tu couchais par terre ; tu ferais bien de la mettre de suite
et de ne jamais la poser.
Du sucre, de la teinture d'iode, de la chandelle pour grainer les pieds,
un peu de rhum pour faire un grog chaud. Toutes ces choses tiennent
très peu de place.
Tous les soirs après souper en parlant de vous deux, nous allons
au Jardin de Ville qui est tout près de chez nous. La musique
y joue deux fois par semaine, le 4ème génie et le 140ème
de ligne. On voit beaucoup de soldats à Grenoble, c'est ici qu'est
le fils Livet. Nous sommes tout à fait tranquilles à Grenoble
et si tout s'arrangeait nous serions bien heureux, nous nous suffisons
et ne chercherions à avoir aucune relation ; papa est content
de ne rencontrer aucune figure de connaissance et j'en ressens les effets.
Je suis obligée mon cher Pierre de terminer. Je t'engage vivement
à ne commettre aucune imprudence, si tu allais à la guerre,
rampe toujours, il ne faut pas te montrer car comme tu es grand tu craindras
peut-être plus qu'un autre.
J'aurais bien voulu en ce moment être auprès de toi et
combien j'envie ce papier que tu lis et que je voudrais suivre. À
bientôt de tes nouvelles. Je t'embrasse de tout mon cur,
mille fois. Maman.
[Grenoble] le 1er août
1914
Cher Pierre,
Les journaux de ce matin font malheureusement prévoir l'imminence
de la guerre Je t'ai donc télégraphié immédiatement
pour que tu te fasses photographier d'urgence s'il en est encore temps.
Donne-nous l'adresse du photographe et nous réclamerons les photographies
si nous ne les avons pas reçues d'ici huit ou dix jours. Tu trouveras
sous ce pli un mandat de 50 francs qui te seront bien utiles dans les
circonstances présentes.
Nous sommes constamment avec toi et ton frère par la pensée.
L'épreuve est bien cruelle et je soutiens de mon mieux le moral
de maman qui fait de son mieux aussi pour être forte.
Ecris nous souvent, le plus souvent possible, ne serait-ce qu'un mot.
Cela nous réconforte, nous ferons de même de notre côté.
Je ne veux pas terminer sans te renouveler notre fierté d'avoir
un fils dont nous avons pu apprécier les bons sentiments et la
délicatesse. Nous savons aussi que tu sauras être énergique
dans cette terrible épreuve. Nous le serons nous-mêmes.
Nous devons être dignes les uns des autres.
Nous comptons sur la Providence pour nous donner en compensation la
joie du retour.
Nous t'embrassons mon cher Pierre de toute la force de notre âme.
Tes parents affectueux et dévoués.
Claudius
La déclaration de guerre trouve Claudius installé
à Grenoble. Mobilisé à la caserne de Genas, il
doit renoncer provisoirement à développer sa nouvelle
affaire pour rejoindre Lyon où il demeurera jusqu'au mois de
mai 1915.
[Grenoble] le 4 août
Cher Pierre,
Je te confirme ma lettre te portant un mandat poste de 50 francs, envoyée
samedi en même temps que le télégramme relatif à
ta photographie. Nous avons reçu hier soit ta lettre du 31 juillet
qui a été la bienvenue. Nous l'attendions depuis plusieurs
jours.
La guerre est donc malheureusement déclarée et à
l'heure actuelle tu es sans doute sur le point de partir. Il est probable
que la présente ne te parviendra que sous quelques jours et où
?
Autant qu'il sera en ton pouvoir écris-nous un seul mot au besoin,
pour nous tranquilliser momentanément. Aie un crayon et plusieurs
cartes-lettres ou postales dans tes poches, toutes timbrées.
Nous n'avons pas encore reçu ta lettre que tu devais nous envoyer
dimanche avec les renseignements demandés pour la photographie,
c'est-à-dire l'adresse du photographe que nous paierons dès
réception à moins qu'il ne t'ait fait payer d'avance,
ce qui est fort probable.
Nous avons tous la ferme confiance que tu nous reviendras sain et sauf,
nous le demandons pour toi et ton frère à la Providence
avec une telle ferveur. Nous irons tous à Lourdes à votre
retour.
Vous ferez tous deux votre devoir de bon patriote, nous en sommes sûrs.
Quant à moi, je rejoins à Lyon au Fort de La Vitriolerie,
au 14ème d'artillerie, le 13ème jour de la mobilisation,
c'est-à-dire vendredi 14 août avant huit heures du matin.
Nous allons donc réintégrer Lyon dès que les trains
de voyageurs seront rétablis entre Grenoble et Lyon, c'est-à-dire
dans cinq ou six jours.
Ecris nous donc dorénavant 11, rue Chavanne, Lyon.
Il y a des exemples de l'événement frappants. Maurice
Barrès s'engage avec son fils de 18 ans. Gustave Hervé
s'engage aussi à l'âge de 43 ans.
Ici, les conscrits partent avec une mâle assurance.
Le Docteur Petremont qui est mobilisé à Grenoble comme
médecin major pour être dirigé ailleurs ensuite,
t'envoie ses meilleures amitiés.
Nous terminons mon bien cher Pierre en te donnant avec notre bénédiction,
nos plus affectueux baisers.
Tes père et mère et surs dévoués
C.Desgoutte
Nous abandonnons donc
les affaires pour un temps restreint, croyons-nous, car nous pensons
que la guerre sera courte et heureuse pour la France grâce à
nos alliances et aux concours sympathiques d'autres nations.
Mon cher petit
Je tiens à ajouter un petit mot à la lettre de papa. Je
veux que tu saches que j'accepte avec confiance la grande éprouve
que le Bon Dieu m'envoie. Je suis persuadée que vous me reviendrez
bientôt en bonne santé. Ce matin, nous avons fait dire
une messe à votre intention et nous continuerons à bien
prier. Aie donc bon courage et bon espoir, bientôt nous serons
réunis. Toutes les chances sont pour nous et il est impossible
que ce ne soit pas vite terminé.
Depuis huit jours nous sommes en contact avec les soldats, nous sommes
allés près des casernes, nous les avons vus se préparer,
nous en avons vus partir ; tous sont admirables de courage. Quelques
uns que l'on interrogeait disaient qu'ils ne s'étaient jamais
tant fait de bon sang. Comme tu le vois, nous avons comme cela vécu
un peu avec vous ces jours derniers.
Nous allons aller à Lyon car la Grand-Maman est tourmentée
et puis papa rejoint Lyon, au Fort de la Vitriolerie. Notre employé
est parti le lendemain de son mariage. Je n'ai donc rien à faire
ici, nous reprendrons le train normal après la Victoire qui ne
saura tarder.
Au revoir, donc, mon cher Pierre. Comme je vais être fière
à votre retour d'avoir mes deux fils qui auront combattu pour
leur Patrie. A bientôt de tes bonnes nouvelles. Je t'embrasse
bien fort comme je t'aime.
Comme après la guerre on est libéré du service
tu seras donc complètement à nous. Nos meilleurs vux
t'accompagnent ainsi que notre bénédiction.
Ta maman qui te serre dans ses bras comme quand tu étais tout
petit.
Marie Desgoutte
Aie confiance en Dieu.
Août 1914
Bien Chers Parents
Je vous écris à nouveau pour vous dire que tout se passe
bien. Nous sommes très près de la frontière. On
attend toujours notre tour. Mais ne vous faites pas de mauvais sang.
Moi, je suis philosophe et sais comprendre les choses. La destinée
est bizarre. Je me porte bien et mange avec appétit. J'attends
toujours la lettre de Papa qui doit suivre à la dépêche.
Vivement que ça finisse car j'ai l'espérance de vous revoir
pour vous embrasser mille fois. Je garde précieusement la médaille
de St Benoît et prie de mon côté pour qu'il nous
conserve en bonne santé.
Je ne vous en mets pas plus long vu que je vous écris plus souvent,
et puis enfin vous savez comme moi la situation présente.
Gros mimis aux petites surs. Grosses caresses à mon Cher
Papa et Bien Chère Maman.
Votre filston chéri
Honoré
Lyon, le 22 août
1914
Mon cher Pierre,
Nous avons reçu ce matin ta lettre du 15 et avons reçu
depuis notre arrivée de Grenoble 3 lettres qu'on nous a fait
suivre. Inutile de te dire avec quelle promptitude nous sortons vite
la lettre de son enveloppe et combien nous sommes heureux de tes nouvelles.
Le jour du 15 août nous avons en effet été souper
chez la Grand'maman. Nous n'avons pas voulu la laisser seule ce jour-là
qui avait toujours été une réunion de famille.
Tonton et papa y assistaient puisqu'ils ont été ajournés
l'un et l'autre.
Nous avons parlé de vous deux pendant toute la journée
et avons trinqué à votre heureux retour et à la
victoire de la France. Ah ! mon cher petit, si tes surs avaient
été plus grandes j'aurais été heureuse de
partir aussi dans nos ambulances pour soigner les blessés. Je
les aurais emmenées avec moi, bien entendu, mais de ce côté-là,
je crois que les mères de nos vaillants soldats peuvent être
tranquilles tout est très bien organisé dans les villes
pour les recevoir et toutes ces dames de la Croix-rouge sont admirables
de dévouement. Nous ne cessons de prier pour que Dieu nous protège
et avons pleine confiance.
Nous sommes en bonne santé, papa passe son temps à aller
voir les dépêches et à faire quelques visites à
la Grand'maman. La dernière lettre d'Honoré est du 9.
Est-il toujours à la frontière ? A-t-il franchi les Vosges
? Nous n'en savons rien. Dans sa dernière lettre, il nous disait
qu'il allait bien et qu'il avait un excellent appétit et qu'il
attendait que son tour vienne pour partir ; il fait preuve également
d'un bon courage. Que les mamans françaises doivent être
fières d'avoir des fils comme vous, mes enfants !
Tu as dû apprendre par la voie des journaux la mort du pape Pie
X. La guerre l'a tué. J'ai reçu une lettre de tante Catherine
qui demande de tes nouvelles. Je lui ai répondu. Son mari est
à Bourges dans les bureaux. Grand'papa également m'a écrit
; si tu le peux, envoie-lui un mot, ça lui fera plaisir. Vite
que tous ces Allemands soient écrasés ; la guerre ne peut
pas être longue.
D'ailleurs le curé d'Ars avait prédit que quand les voitures
marcheraient sans chevaux et que les hommes voleraient, les femmes feraient
les moissons et les hommes finiraient les vendanges, jusqu'à
présent c'est exact. Il y a beaucoup de femmes qui ont fait les
moissons ; les vendanges ne sont pas bien éloignées. Souhaitons
de tout cur que les hommes partis soient à leur poste pour
la faire.
Lyon est très calme, les magasins sont ouverts comme à
l'habitude et les vivres pas plus chers qu'en temps ordinaire ; dans
toutes les villes de France, il y a des soupes populaires, des garderies
d'enfants et beaucoup de gens charitables qui font de bonnes uvres.
L'exposition est toujours ouverte mais nous ne l'avons pas encore vue.
Nous vous attendons pour y aller, j'ai dans l'idée qu'on va la
retarder.
Le grand employé de tonton Benoît est sur la frontière
de la Lorraine. Il l'a écrit à sa fiancée. Ils
devaient se marier le samedi, il est parti le mardi.
Prends toujours beaucoup de précautions et ne quitte pas ta ceinture
de flanelle, même si tu as tu as trop chaud, au cas où
tu serais obligé de rester couché à plat ventre
un peu longtemps. As-tu besoin d'argent ?
Tous les pensionnats de Lyon sont transformés en hôpitaux
prêts à recevoir les blessés. Il en est déjà
arrivé à Lyon, tous demandent à être vite
guéris pour repartir. Il est arrivé également à
Villeurbanne un vol de cigognes dont une avait une faveur rouge autour
du cou. Elle fut capturée à Louizet par deux maréchaux
des logis et un brigadier. Cet oiseau porte-bonheur qui venait d'Alsace
a été offert au maire de Lyon qui en dotera le Parc. Ces
messieurs se sont partagé le ruban qui avait été
attaché au départ de la cigogne par nos frères
d'Alsace.
Je pense recevoir des nouvelles d'Honoré incessamment. J'ai reçu
sa dernière lettre le 17 avec les deux tiennes venant de Grenoble.
Dès que j'aurai de ses nouvelles je t'en aviserai. Je t'embrasse
mille fois mon cher petit, bon courage, toujours et confiance en Dieu.
A bientôt. Ta maman qui te chérit
Cher Pierre,
Quand tu reviendras, tu trouveras deux petites surs accomplies,
nous faisons tout notre possible pour aider maman dans son ménage,
nous avons appris à laver la vaisselle que nous faisons tous
les jours. Nous sommes en vacances depuis notre départ pour Grenoble.
Nous allons de temps en temps à Bellecour l'après-midi,
nous voyons en même temps les nouvelles que l'on donne au Progrès
; il y a à Lyon des blessés et des prisonniers allemands,
il en arrive en grand nombre que l'on répartit dans les diverses
villes du Centre et du Midi.
Oh ! les monstres. Nous avons pitié d'eux bien qu'ils n'en aient
guère pour nous. Mercredi matin, nous sommes allés tous
quatre à la messe de 10 heures à Fourvière, à
ton intention pour que tu reviennes triomphant et en bonne santé.
Il nous tarde que tu viennes nous raconter des histoires de la guerre.
Tu en auras certainement bien à nous raconter. Demain dimanche,
nous irons chez grand maman.
Notre appartement sera probablement loué à la fin de la
guerre par le grand bijoutier de la Maison Combet.
Nous regrettons le Jardin de Ville de Grenoble où nous nous retrouverons
tous après la guerre.
Je t'écrirai encore la semaine prochaine.
En attendant nous t'embrassons tous bien fort de tout notre cur.
Juliette
Cher Pierre,
Nous te remercions de nous écrire tous les deux jours, continue
autant que tu le pourras, quitte à ne mettre que deux mots pour
nous tranquilliser. Tes lettres des 7, 9 et 11 août ne nous sont
pas parvenues. Je te confirme ma carte du 19 août.
Honoré ne nous a pas donné de ses nouvelles depuis le
11.
Nous t'écrirons régulièrement tous les deux jours,
ne serait-ce qu'une carte.
Peut-on t'envoyer de l'argent et combien à la fois ?
Nous t'embrassons tous bien affectueusement.
Claudius
Le 25 août 1914
Cher Honoré,
Nous n'avons pas reçu
de tes nouvelles depuis le 11 ; nous espérons en recevoir bientôt
pour nous tranquilliser. Tu trouveras dans ce pli un mandat poste de
30 francs. Ton oncle Benoît et moi sommes mobilisés depuis
aujourd'hui. Nous nous rejoignons au fort de Genas à 15 km environ
de Lyon. Je vais toucher tout à l'heure mon prêt (0,50
f) et mon tabac.
Nous ne sommes pas habillés
en soldats et ne portons que des brassards. Nos travaux sont très
avancés et nous avons l'espoir que, les bonnes nouvelles aidant,
nous serons bientôt libérés.
Monsieur Doury est venu hier nous faire ses adieux. Il s'engage au 28ème
bataillon de chasseurs à pied pour la durée de la guerre.
Nous avons vu le fils Lamarck qui est venu prendre de tes nouvelles
et qui t'envoie ses meilleures amitiés.
Comme je te l'ai dit dans
un précédent courrier, nous habitons 11, rue Chavanne
jusqu'à la fin de la guerre. Le dîner du 15 août
chez la Grand'Maman a eu lieu quand même mais il s'est bien ressenti
de votre absence. Nous espérons un bon retour et le triomphe
de la France.
Résistes-tu bien aux fatigues de cette guerre ?
Aie confiance et bon courage, le Bon Dieu te protègera.
Tes surs se joignent à nous pour t'embrasser mon cher Honoré
de tout notre cur.
Tes parents qui te chérissent.
Claudius
Nous attendons avec impatience
ton retour. Nous prions toujours avec beaucoup de ferveur pour que tu
nous reviennes en bonne santé. Nous avons reçu une lettre
de Pierre datée du 18.
Nous t'embrassons de tout notre cur.
Juliette et Marguerite
Mon cher petit,
Je pense sans cesse à toi. Prends toujours bien des précautions,
j'espère te revoir bientôt en bonne santé. Bon courage,
je t'embrasse mille fois.
Maman
Lyon, le jeudi 27 août
1914
Mon cher Pierre,
Je suis heureuse de te savoir en bonne santé, je te remercie
de me donner régulièrement de tes nouvelles, nous avons
reçu toutes tes lettres et t'avons répondu régulièrement
; à présent que tu as reçu la carte du 17, tu dois
recevoir régulièrement à peu près tous les
deux jours nos lettres ou cartes que nous envoyons ouvertes. Toujours
pas de nouvelles d'Honoré qui d'après nos renseignements
n'avait pas encore dû se battre à la date du 29, il ne
doit pas lui avoir été possible de nous écrire
car je le crois, à présent et continuellement, c'est-à-dire
dès le début, très près des armées
ennemies. Qu'il nous tarde de voir se terminer cette affreuse guerre,
nous avons toujours une grande confiance en Dieu que nous invoquons
toujours avec beaucoup de ferveur. Ne l'oublie pas, mon fils, je t'en
prie, mets-toi également sous sa protection divine.
Papa est venu hier soir à 7 heures, il est reparti ce matin à
5 heures par le tramway des Cordeliers pour arriver à Genas à
6 heures, il va très bien et fait avec Tonton Benoît la
fonction de secrétaire. Je suis allée avec les petites
y passer la journée de Dimanche. Lyon est calme, le travail a
bien repris, les vivres y sont bon marché, presque meilleur marché
qu'en temps ordinaire.
Nous n'avons pas reçu les photographies, papa a écrit
pour les réclamer, tu as dû recevoir en plus des 50 francs
envoyés le 3 août, 30 francs envoyés il y a une
huitaine de jours. Je pense qu'Honoré a également dû
les recevoir, il nous avait accusé réception de 50.
Nous écrirons aussi très souvent, tiens-nous au courant
de ta santé puisque tu ne peux rien nous dire d'autre. Hier nous
avons déjeuné chez tante avec Grand Maman. Juliette et
Marguerite sont bien sages. Nous t'embrassons bien fort et moi particulièrement.
A bientôt, Pierre, encore mille baisers de ta maman qui te chérit.
Marie
Lyon, le jeudi 27 août
1914
Cher Pierre,
Nous venons de recevoir de tes nouvelles qui nous ont bien fait plaisir.
Nous sommes contents d'apprendre ta nomination de sergent.
Nous pensons que tu vas toujours bien. Papa est au fort de Genas depuis
hier avec le tonton Benoît. Nous allons toujours bien, hier nous
sommes allés à Fourvière et avons communié.
Nous conservons les journaux afin de te les montrer à ton retour.
Nous n'avons rien reçu
d'Honoré depuis le 11. Nous pensons qu'il a dû faire face
à l'ennemi plusieurs fois déjà.
Je t'écrirai après demain. Bon courage et confiance.
Tes petites surs qui t'embrassent de tout cur.
Juliette et Marguerite
Aujourd'hui le 30 août, nous recevons de tes
nouvelles qui nous font bien plaisir.
Juliette
Genas, le 11 septembre
1914
Cher Pierre,
Je profite de mes loisirs pour te donner de nos nouvelles. La dernière
lettre reçue de toi est du 28 août. Nous comprenons qu'avec
les événements actuels le transport des lettres se soit
momentanément arrêté.
Nous n'avons toujours pas de nouvelles d'Honoré depuis le 11
août.
Nous voyons par les communiqués qu'une partie de l'armée
de Paris a reçu le baptême du feu. Etais-tu du nombre ?
Si oui, donne-nous quelques détails, on ne saurait te l'interdire
puisque beaucoup d'autres combattants envoient des lettres circonstanciées.
Nous savons d'avance que tu ne peux que faire largement ton devoir.
Nous aurons sûrement la victoire, personne n'en doute, quelles
que soient les alternatives qui puissent se produire.
Notre pensée est constamment avec vous.
Maman et tes surs vont à l'église prier matin et
soir.
Je ne suis pas près d'être libéré. On nous
constitue en une compagnie de 250 hommes. Nous allons être habillés
en artilleurs et armés du fusil dit mousqueton.
Je pense pouvoir continuer néanmoins à venir tous les
soirs coucher à la maison.
Je repars tous les matins par le tramway de six heures qui arrive à
7 heures à Genas.
Nous t'embrassons tous trois affectueusement
C.Desgoutte
Lyon, le jeudi 18 septembre
1914
Cher Pierre,
Nous n'avons plus reçu de tes nouvelles depuis ta lettre datée
du 28 août. Nous sommes inquiets et nous espérons que nous
serons bientôt rassurés. Nous sommes tous en bonne santé.
Nous nous sommes tous faits vacciner. Je suis toujours au fort de Genas.
Je profite d'une permission pour t'envoyer un mandat de 40 f. Toujours
pas de nouvelles d'Honoré depuis le 11 août. Peut-être
est-il prisonnier ? Je t'écris de la poste de la rue des Archers.
Maman est à Bellecour avec tes surs. Tu recevras une longue
lettre sous quelques jours soit de moi soit de maman.
Les nouvelles de la guerre sont très bonnes et l'on peut espérer
le triomphe de la France et de ses alliés à bref délai.
Notre pensée est constamment avec toi.
Ton ami Laroche a été blessé au bras et le jeune
Johanny à la jambe. Ils sont tous deux soignés à
Lyon et en voie de rétablissement. Nous sommes tous les jours
à St-Nizier à 7 heures à prier Dieu pour vous.
Je ne saurais mieux terminer qu'en t'embrassant pour tous du plus profond
du cur et en disant avec toi : Vive notre chère France
! pour laquelle tu offres ta vie et notre bonheur lié à
votre existence.
Tes père, mère et surs dévoués et
affectueux.
C.Desgoutte
Le 2 octobre 1914
Le Chef de Bataillon de Colombe,
Major du 27ème R.I.
Monsieur,
Je reçois votre lettre, demande d'explications sur le retard
que vous avez eu à avoir des nouvelles de votre fils. Il faut
faire une différence entre les renseignements que le dépôt
peut vous fournir et les avis officiels constatant la mort ou la disparition.
Pour annoncer la mort au dépôt, nous devons être
très prudents et je le fais toujours en insistant sur ce que
le renseignement n'a pas de caractère officiel et j'indique la
source (généralement mention portée sur la situation).
C'est ainsi que la mention disparu que nous avons reçue pour
beaucoup s'est trouvée parfois inexacte. Le disparu a été
un homme séparé de ses camarades et qui est retrouvé
plusieurs jours après. Des renseignements de cette nature, même
sur les officiers nous sont ainsi arrivés puis ont été
démentis. La mauvaise nouvelle s'était déjà
répandue.
Pour votre pauvre fils, il faut remarquer que les situations du début
de la campagne nous sont arrivées avec 15 à 20 jours de
retard. Le renseignement qui vous est arrivé par la Mairie de
Lyon pouvait répondre à une demande de renseignement qui
nous était arrivée avant la réception des situations.
Si je vous ai télégraphié " Crains mauvaise
nouvelle " c'est que, ainsi que je vous l'ai dit plus haut, je
n'avais pas l'avis officiel du décès et voulais vous préparer
à la triste réalité.
Votre lettre est du 30.09. Vous n'aviez sans doute pas encore reçu
l'acte de décès par les soins de la Mairie. Il nous est
arrivé le 27 et a été adressé le même
jour à la Mairie. Sur la situation du 17 août de la 3ème
Cie il était porté la mutation suivante : desgouttes
blessé et évacué le 17 août.
Sur l'acte de décès :
Desgouttes Honoré
décédé le 20 août
1914. De ces deux pièces, il résulterait que votre fils
aurait été blessé et évacué le 17
août et serait décédé le 20 août. Le
renseignement qui termine votre lettre mentionne que " tombé
à la crête d'un mamelon, son corps y était encore
le lendemain matin " ne correspondrait donc pas à ceux donnés
par les pièces que nous avons reçues. Je ferai prendre
des renseignements auprès de la 3ème Cie en campagne et
des blessés qui sortent des hôpitaux.
Croyez à l'assurance de mes sentiments dévoués.
Le 26 octobre 1914
Bureau des archives administratives
du ministère de la guerre
à Monsieur Claudius Desgoutte, 11, rue Chavanne à Lyon
:
Monsieur,
En réponse à votre lettre du 5 courant, j'ai l'honneur
de vous faire connaître que le décès du soldat DESGOUTTE
Honoré m'a été signalé par un procès-verbal
de constatation de décès établi le 20 août
dernier à l'ambulance N° 6 du 8è Corps sur le champ
de bataille d'Heming. Cette pièce ne donne aucun détail
sur la mort.
D'autre part, l'officier d'état-civil du 27è Régiment
d'Infanterie, qui n'a pas été à même de constater
le décès, n'a pu établir qu'un acte de disparition
concernant votre fils. D'après ce document, le soldat DESGOUTTE
a été atteint le 16 août 1914 vers 8 heures, près
du village de Saint-Georges (Lorraine annexée) par un culot d'obus
en pleine poitrine. De l'avis des témoins (Michaud Alfred et
Gaude Julien) DESGOUTTE doit être décédé.
Il est tombé au champ d'honneur le 16 août.
Lyon, le 02.11.1914
Cher Pierre,
Hier 1er novembre, nous
avons fait la visite annoncée au cimetière de la Demi-Lune.
Nous avons déjeuné et soupé chez la Grand'maman.
Ta dernière lettre reçue est du 26 octobre. Nous t'écrirons
une lettre après-demain en t'envoyant un paquet contenant des
genouillères et quelques provisions de bouche pour varier l'ordinaire.
Nous ferons ainsi de temps en temps. Tu dois en ce moment supporter
de violents combats ainsi que l'annonce le communiqué officiel
qui parle d'une action s'étendant sur tout le front. Il nous
tarde d'être rassuré par un mot de toi. Nous t'embrassons
tous bien affectueusement.
C.Desgoutte
Chatel-Guyon, le 02.11.1914
Chers Parents,
N'allez pas croire au moins en voyant ma lettre que les Allemands soient
à Chatel-Guyon ! Non, c'est moi seul qui y suis. Ces s
..ds-là
m'ont envoyé une balle dans la cuisse ! rassurez-vous, ils ont
manqué leur coup. Au lieu de me briser os et vertèbres,
ils ont simplement mordu un peu dans la chair, m'infligeant un repos
de quelques semaines seulement.
Rapidement, les faits :
J'ai été blessé à la cuisse en chargeant
à la baïonnette à 15 heures, 25 minutes, 30 secondes,
le 29 octobre.
Dirigé quelques heures plus tard sur Ste Messehoulde, j'ai de
là été évacué à Chatel-Guyon
où je suis depuis hier soir. Ici, c'est parfait, rien ne manque,
chambres et lits tout blancs et très propres, docteurs, infirmiers,
religieuses, dames de la Croix-rouge, commissionnaires et même
de la gaîté, aux petits soins sous tous les rapports.
Excusez mon écriture, ce n'est pas normal d'écrire au
lit. Le docteur considère mon état comme des plus satisfaisants.
Comme Lyon n'est pas très éloigné de Chatel-Guyon,
je serais bien content de recevoir votre visite un jour ou l'autre.
Je ne vous en dis pas plus long aujourd'hui car il faut les premiers
temps un peu de repos à ma cuisse. Je vous enverrai tous les
jours de mes nouvelles.
Ma blessure est bénigne et sera guérie rapidement. Donnez
le bonjour à tous, là-bas. Je leur écrirai à
tous dans quelques jours.
En attendant de vos nouvelles, et un jour peut-être votre visite,
je vous embrasse tous de tout cur.
Pierre
Hôpital Temporaire n° 167 International
Hôtel Chatel-Guyon
Chatel-Guyon, le 3.12.1914
Chers Parents,
Bien reçu ce matin
votre carte d'hier. En attendant la représentation des pièces
dont vous m'annoncez l'envoi, j'ai joué hier le 1er acte (en
2 tableaux) d'une pièce de ma composition dont il me reste deux
actes à forger. Cette pièce, intéressante entre
toutes comme bien vous le pensez, a pour titre " Le Trésor
de Madame Tragabaldas ou le Mariage de Guignol ".

J'ai remporté un
plein succès ! Aussi me mettrai-je bientôt à la
confection des deux derniers actes. La scène se composait d'une
serviette tendue devant moi perpendiculairement à mon lit. C'était
sommaire mais ça n'en était que plus drôle !
Voilà qui fait bien augurer de l'avenir !
Donnez le bonjour à sur Périer dont je serai très
heureux de refaire la connaissance quand j'irai à Lyon. Reçu
une lettre de Gd Papa Bonniol et un mandat de 10 f. Je lui réponds
aujourd'hui. Il me remercie de ma lettre, m'invite à aller en
convalescence chez lui (il a paraît-il 116 soldats convalescents
chez lui !). Il me donne même les menus des merveilleux repas
de ces messieurs.
Chatel-Guyon, le 30.12.1914
Chers Parents,
Chaque année le Jour de l'an est la fête de la famille
; cette année c'est la fête de notre cher disparu.
Son souvenir est encore si vivant que j'en suis à me demander
si réellement il manque à l'appel. Eh bien ! non, cher
Parents, il ne manque pas, car je suis bien sûr que de Là-Haut
(et il doit bien y avoir un Là-Haut !) il se joint à
moi, à mes petites surs pour vous dire du fond du cur
: " Chers Parents, Bonne année, Bonne santé ".
J'ai bien reçu votre lettre d'avant-hier. Vous avez raison de
joindre la lettre de l'Oncle Benoît à qui j'ai envoyé
mes vux de Bonne année.
Je doute d'avoir le temps d'écrire aujourd'hui à grand'Maman
chez qui vous passerez le Jour de l'an probablement. Vous aurez reçu
ma lettre avant de vous rendre à Vaise, qu'elle reçoive
ici les vux bien sincères de " Bonheur et Santé
" de son petit-fils.
Je lui écrirai demain si je ne puis le faire aujourd'hui.
Je vous embrasse de tout cur et pense toujours bien à vous.
Votre bien reconnaissant et affectueux
Pierre

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