Avertissement
Le
manuel ici présenté a été rédigé
entre 1972 et 1976, puis publié en 1977 aux éditions
Hachette. Il traite d'un sujet complexe, qui est resté
d'actualité : l'alphabétisation des travailleurs
étrangers. Il fit référence à
l'époque de sa parution et reste probablement la seule
tentative de réflexion globale sur les procès,
les enjeux et les techniques de la formation des travailleurs
étrangers en France.
Le
mouvement des sans papiers apparu dans le courant des
années 90 a révélé la permanence
d'une population de travailleurs analphabètes, jamais
scolarisés ni dans leur pays d'origine, ni en France
et de la survivance d'un mouvement d'alphabétisation
d'inspiration traditionnelle, caritative et politique, souvent
porté par des étudiants bénévoles.
On
s'est aperçu à cette occasion que la recherche
et l'expérimentation pédagogiques dans le domaine
de l'alphabétisation avait peu évolué
et que les vieilles recettes volontaristes restaient de mise.
Il est vrai que les politiques successives de restriction
et de rejet de l'immigration n'allaient pas dans le sens d'un
effort public d'intégration, de formation scolaire
et de valorisation sociale des travailleurs étrangers.
Ce
manuel rappelle combien les années 70 ont été
marquées par le débat sur l'école conçue
non pas comme un lieu d'apprentissage des techniques et savoirs
mais comme le lieu de manifestation, d'expression et de reproduction
de l'héritage culturel, économique et social
de la nation. Ce livre disait déjà, en avance
sur son temps, que les nouveaux supports de médiation
sociale et d'apprentissage s'appelaient télévision,
radio, publicité, tourisme, jeux, sport, petites annonces,
B.D., chansons... et que la domination de l'alphabet et du
livre sur les autres formes de représentation avait
vécu...
Nous
avons souhaité remettre à la disposition des
chercheurs et des enseignants cette somme de réflexions
et d'expériences, en espérant qu'elle contribuera
à nourrir leurs travaux.
Les
auteurs
|
Tout au long de
ce livre, à travers la relation "exemplaire" d'une pratique
d'enseignement du français à des travailleurs étrangers
une question se pose et s'impose : que faire de l'autre ?
Affiches,
imprimés, annonces, photos, journaux, disques, enregistrements
radiophoniques sont les outils privilégiés de cette
pratique. A quoi servent-ils ? Qui servent-ils ?
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Faisant suite à une introduction situant
le contenu de l’étude selon quelques repères sociologiques, linguistiques
et pédagogiques, le corps de l’ouvrage se divise en deux parties :
I. La première partie est un exposé
analytique de la méthode d’animation : les choix méthodologiques
de base y sont présentés concrètement à travers l’exemple de quelques
séances d’animation.
2. Par-delà une réflexion générale
sur le langage, la deuxième partie invite l’animateur à s’intéresser
en particulier aux processus réels d’acquisition de la parole et de
l’écrit. La référence en ce domaine comme ailleurs est la pratique
pédagogique.
AVANT-PROPOS
Préface
CHAPITRE 1
De l'usine à l'école : l'univers
linguistique du travailleur étranger
CHAPITRE 2
Définition scolaire des publics et des seuils de sortie
CHAPITRE 3
Un choix pédagogique pour tous les stades
PREMIERE PARTIE
LA METHODE D'ANIMATION
CHAPITRE 4
Une discussion entre adultes
CHAPITRE 5
Codes et rituels de la séance
CHAPITRE 6
Le travail de préparation de l'animateur chez lui
CHAPITRE 7
Utilisation de la bande témoin et de la bande reformulation
CHAPITRE 8
Analyse d'une animation à propos de photos
CHAPITRE 9
Les supports
DEUXIEME PARTIE
SYSTEME
ET APPRENTISSAGE DU LANGAGE
CHAPITRE 10
La parole, l'écriture et la grammaire
CHAPITRE 11
Les processus d'apprentissage de la parole
CHAPITRE 12
Quelques fiches linguistiques à l'intention des animateurs
Fiche N°1 : Prédictibilité externe ou référence
Etude de quelques mots empruntés par le Bambara au Français
Fiche N°2 : Prédictibilité interne
La liaison dans les adjectifs
Fiche N°3 : Prédictibilité interne
Le genre des noms : un cas de prédictibilité statistique
Fiche N°4 : Prédictibilité interne
Le système des pronoms en français
Fiche N° 5 : Mémorisation
Une série aléatoire dans la troncation : les numéraux
CHAPITRE 13
Les processus d'apprentissage
de l'écrit
1. L'apprentissage de la lecture
2. L'apprentissage de l'écriture
CHAPITRE 14
L'espace de l'écrit
1. La mise en page : lignes de composition
2. Les éléments componibles
3. La préparation à l'écriture
CHAPITRE 15
Le système de l'écrit
Conclusion
Documents annexes
Avant-propos
La loi du 16 juillet 1971 définit
un cadre à l'institution et au développement de la Formation
continue. C'est dans cette perspective que le Centre Technologique
Grégoire de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris
a mis au point un programme d'enseignement du français langue
étrangère destiné aux travailleurs immigrés.
Ce programme a donné lieu à
la mise en place d'un certain nombre de cours d'entreprise dans la
région parisienne. Ces cours sont assurés par des animateurs
attachés au centre et rénumérés par lui.
Ils se distribuent en quatre cycles de formation correspondant à
autant de stades d'apprentissage différents :
1. Langue parlée et préparation
à la lecture-écriture : 120 heures, groupes unilingues.
2. Langue écrite et lue 1 : 120
heures, groupes unilingues.
3. Langue écrite et lue 2 : 120
heures, groupes multilingues.
4. Mobilité professionnelle : 300
heures, groupes multilingues.
Les deux premiers cycles s'adressaient,
par souci d'efficacité immédiate, à des travailleurs
de même langue maternelle ; les cycles suivants, en revanche,
gagnent à réunir des personnes de langues différentes.
Les groupes mixtes, constitués dans ce dernier cas, rassemblent
chacun une quinzaine de personnes dont les connaissances scolaires
sont relativement homogènes.
Les cours se déroulent totalement
ou partiellement pendant les heures de travail; dans ce dernier cas,
les heures supplémentaires sont rémunérées.
Les séances ont lieu trois ou quatre fois par semaine et chaque
cycle dure environ vingt semaines.
C'est dans ce cadre que le Centre Technologique
a demandé à Maurice CATANI d'organiser une recherche
et une expérimentation tant linguistique que sociologique pour
aboutir à une pédagogie et à des moyens didactiques
adaptés au public spécifique des travailleurs étrangers.
La recherche et la rédaction consécutive
de cet ouvrage ont réuni pendant un temps variable :
- Brigitte ALLAIN-DUPRE, pychologue clinicienne
et animatrice,
- Maurice CATANI, sociologue et animateur,
- Jean-Paul DESGOUTTE, linguiste,
- Jean Léonce DONEUX, ethnolinguiste,
- Elaine MAZE, visualiste.
Bernard GARDIN, linguiste, a participé
à plusieurs réunions de travail.
Les réflexions contenues dans cet
ouvrage n'engagent que leurs auteurs et ne concernent que leur pratique.
Cet ouvrage a en réalité
d'autres auteurs.
Il est naturellement le fruit de la discussion
avec des centaines d'étrangers qui ont bien voulu parler avec
nous, employer la langue de l'autre pour échanger... Il est
aussi le fruit de la collaboration des animateurs qui ont participé
par leur travail et leurs rapports de fin de cycle à l'élaboration
d'une pratique et d'une réflexion communes. Avec eux, nous
avons formé une équipe sans laquelle bon nombre de chapitres
n'auraient pas leur contenu d'expériences concrètes.
Préface
Né d’une pratique et écrit pour des
praticiens, ce livre est avant tout descriptif. Il se propose à la
lecture comme un document rassemblant une somme d’expériences, de
recherches et de réflexions. Prenant à contre-pied la démarche pédagogique
la plus fréquente qui veut que la pratique d’un enseignement procède
d’une réflexion préalable sur ses objectifs et ses moyens,
cet ouvrage tente d’élucider a posteriori les conditions d’application
d’une pratique « exemplaire » d’enseignement du
français à des travailleurs étrangers. Il prend donc son point de
départ dans la situation actuelle de l’alphabétisation et de ce fait
se voit obligé d’en assumer (sinon d’en justifier) les contraintes
et les contradictions institutionnelles réelles, matérielles ou idéologiques.
Ce livre ne pose donc pas de préalable
à ce que pourrait être l’alphabétisation des travailleurs étrangers
et ne se propose pas non plus en modèle généralisable de ce qu’elle
devrait être.
Les exemples constituent le matériau
de base de l’exposé. Ils précèdent et autorisent la réflexion. Si
pour des raisons de clarté ce livre a été divisé en quelques grands
thèmes et si les réflexions méthodologiques ou théoriques — qui
nourrissent la démarche ou en dérivent — ont été regroupées
à part, le lecteur se retrouvera cependant le plus souvent dans la
situation globale réelle de la séance, où l’animateur, sollicité à
chaque instant, doit comprendre, reprendre, intervenir, quelle que
soit la nature de la demande ou du problème.
Le premier (sinon le seul) objet
des cours est l’apprentissage du langage oral et écrit. Il faut toutefois
préciser que le cours ne constitue qu’un moment très bref et
particulier de ce processus : institution scolaire, il n’est
dans le meilleur des cas que I’outil d’une accélération ou d’une amélioration
de cet apprentissage. L’étranger, dont trop d’enseignants oublient
qu’il est adulte, communique déjà et sans cesse dans la société :
il gagne salaire.
C’est pourquoi nous invitons l’animateur
à se libérer peu à peu des préjugés scolaires, à abandonner le
traditionnel rôle de maître ainsi que les attributs de la fonction
(manuels, syllabaires, exercices structuraux et autres grammaires)
pour adopter une position qui facilite la « libre conversation »
Nous ne prétendons pas en cela nier le caractère scolaire du cours,
mais nous cherchons tout au contraire à en renforcer l’efficacité.
Le cycle de formation ne doit pas imiter le réel, mais se constituer
en structure d’appoint à l’apprentissage extérieur.
Les points de vue traditionnels du
linguiste et de l’animateur sont assez distincts : le linguiste se
rassure volontiers de voir émerger le sens de la combinaison des formes,
l’animateur quant à lui aime à s’interroger d’abord sur les désirs
de l’étranger pour ensuite voir par quels canaux lexicaux et grammaticaux
ses désirs peuvent s’exprimer.
Pour faciliter le rapprochement de
ces deux points de vue, nous invitons l’animateur à s’imprégner d’une
formule simple : le langage sert à tout.
Le langage sert à s’exprimer, obtenir
quelque chose de quelqu’un, à dire une vérité, à la masquer, à mentir
aux autres, à se mentir à soi-même. à interpeller, à énoncer un fait,
à convaincre, à évaluer un lien entre deux réalités, à résister
à la solitude, à tisser un lien social, à se mesurer avec d’autres
dans un rapport de forces ; le langage sert à tout.
Si cette conviction ne donne pas directement
prise sur la grammaire ou le lexique d’une langue, elle a l’avantage
de préparer à comprendre que le désir d’apprentissage du français
par un étranger n’a pas à être limité a priori par qui que ce soit
à aucun objectif pédagogique, humanitaire, professionnel, politique,
etc.
C’est à l’étranger et non à l’animateur
de décider comment et pourquoi il veut utiliser sa nouvelle langue