Le verbe et l'image
Préface A la fin des années 60, la mode était à la linguistique, puis les années 70 ont vu l'avènement de la sémiologie et les années 80 le triomphe de la communication. Par-delà l'effet de mode, la métamorphose des champs disciplinaires souligne l'évolution de l'histoire des idées. On peut ainsi associer à ces trois temps trois événements qui ont profondément modelé la vie sociale française. Mai 68 est souvent célébré comme un moment de libération de la parole, puis les années 70 marquent l'épiphanie de l'image publicitaire (et singulièrement de l'image porno-érotique ) et enfin les années 80 inaugurent l'ère de la vidéo portable et de la micro-informatique. Chacun de ces événements manifeste, à sa façon, une transformation du rapport que la société entretient à son propre langage, comme outil de représentation et d'échange. La libération de la parole La linguistique s'est voulue, dès son origine, une pure méthode d'analyse appliquée à son objet - la langue - en dehors de toute autre finalité que celle visant à en identifier les unités, les formes, les relations et les structures. Cette volonté marquait un renversement de tendance radical par rapport aux traditions philologiques qui s'inscrivaient de tout temps dans des projets externes à leur objet : historique, normatif, éducatif, herméneutique, etc. On se libérait en quelque sorte de l'idée que le sens est premier par rapport à la forme ou encore que le langage est un outil dont l'intelligence est soumise à celle de son usage. La libération du commentaire linguistique de son carcan philologique allait dans le sens d'une valorisation de la libre expression orale, individuelle et subjective. Au même moment, le développement des médias audiovisuels de masse, radio et télévision, étendait leur usage à la quasi totalité de la population, rendant manifeste que l'impact d'un message ne procède pas uniquement de sa signification - ou de son contenu - mais aussi de sa forme, de son support et de son public. Ce qu'on appelait traditionnellement le sens était ramené en quelque sorte à la partie émergée du signe. L'empire des signes Et de fait, dans les années 70, le signe (selon l'acception
formulée par Saussure) se substitue au verbe dans sa fonction d'unité
symbolique de représentation sociale. Le signe devient le paradigme
où se précipite toute une collection d'objets bâtards et multiformes,
le concept générique dont relèvent aussi bien les panneaux de circulation
que les rites initiatiques bantous, les saveurs de la cuisine chinoise
que les symptômes obsessionnels névrotiques, et, prima inter pares,
l'image publicitaire qui est à la fois rite et symptôme, spectacle et
message. La publicité, sous l'effet même de ce mouvement des idées,
cesse d'être un artisanat de bricoleurs ingénieux pour devenir une méthode
d'intervention systématique et raisonnée sur le public. Le développement
de la publicité - et singulièrement de la publicité à la télévision
- marque un renversement dans le commerce des objets et des idées dans
la mesure où le langage, aussi sommaire soit-il, qu'elle propose, tend
à se substituer à toute autre forme de discours. Etudes de marché, sondages,
entretiens, jeux de rôles et simulacres en sont les outils indispensables
et ce phénomène est si fort que les campagnes politiques elles-mêmes
en viennent à se structurer comme des discours publicitaires - les techniques
de promotion des candidats s'inspirant dès lors de celles propres aux
produits de consommation.
C'est ainsi, au début des années 80, que se produit
la troisième mutation. Le signe devient message et la sémiologie laisse
la place à la communication. Ce phénomène n'est pas seulement un glissement
dans l'histoire des idées mais correspond plus profondément à une intégration
progressive des fonctions linguistiques du constat et de la performance.
Entre savoir et praxis, la communication se constitue en discipline
et se définit un champ d'application intermédiaire où l'on peut dorénavant
s'intéresser au contenu du message sans renoncer à la forme et aux acteurs
de l'échange. * L'ensemble des travaux présentés dans cet ouvrage est le produit d'une réflexion sur la question du sens appliquée aux dispositifs de représentation audiovisuelle. On s'y interroge d'une part sur ce qui distingue l'image du verbe et on s'engage d'autre part à analyser les spécificités, spatiales et temporelles, des supports énonciatifs dans leur contribution à la production du sens. Le sens est en effet considéré ici non comme une qualité intrinsèque aux signes mais comme une manifestation de la dynamique énonciative, intersubjective. SOMMAIRE I PROLÉGOMÈNES À UNE PRAGMATIQUE 1.
L'héritage sémiologique II 1.
L'approche linguistique III LA MISE EN SCÈNE DE L'ENTRETIEN 1.
Champ sémiotique, champ sémantique IV L'ÉCONOMIE DU VERBE ET DE L'IMAGE 1. Du sens 1.1.
Saussure et la question du sens 2. L'énonciation audiovisuelle 2.1.
La ponctuation du discours
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